Autocéphalie de l’Église orthodoxe ukrainienne : les larmes du cardinal

Le Cardinal Christoph Schönborn, dans un entretien pour « Kathpres’ », s’est livré à un exercice de style délicat dans lequel il entremêle, savamment, vœux d’œcuménisme, positions politiques et clichés historiques répandus par la Russie.

L’œcuménisme est un mouvement favorable à la réunion, en une seule, de toutes les Églises chrétiennes et n’est en aucun cas le seul dialogue entre catholicisme et orthodoxie. La teneur de l’entretien nous éloigne considérablement de la rencontre historique de 1964, à Jérusalem, entre le Pape Paul VI et le Patriarche œcuménique orthodoxe Athénagoras. Un tel événement ne s’était plus produit depuis le Concile de Florence (1438-1439). Par la suite, le Souverain pontife et le Patriarche œcuménique se sont rencontrés à Istanbul (siège du Patriarcat œcuménique) et au Vatican. A l’issue du Concile Vatican II (1965), il semble que les deux Églises aient levé les anathèmes prononcés respectivement, bien qu’il subsiste quelques réserves.

Le Cardinal déplore la décision du Patriarche œcuménique orthodoxe, Bartholomée, d’accorder l’autocéphalie à l’orthodoxie ukrainienne, en dépit du fait que cette décision soit parfaitement en conformité avec le droit orthodoxe. Selon le Cardinal Schönborn, l’autocéphalie de l’Église orthodoxe ukrainienne nuirait aux relations œcuméniques entre les Églises catholiques et orthodoxes ; la thèse est purement moscovite.

Depuis quand le Patriarcat de Moscou représente-t-il la chrétienté orthodoxe ?

Cette façon de mettre en avant l’orthodoxie russe est contraire à l’esprit œcuménique et révèle un parfait assujettissement à la conception de l’orthodoxie russe, qui a toujours été au service de l’État russe, quelle qu’en soit la nature. Le Patriarche russe, Cyril, compagnon de route de Poutine, dont l’appartenance au KGB est bien connue (devenue vraisemblablement de nos jours une appartenance au FSB) n’est moralement pas le meilleur interlocuteur. Ce Patriarche n’a jamais condamné les exactions commises durant les deux guerres de Tchétchénie, les violations du droit international, les annexions, les agressions russes, les mensonges de Poutine, les bombardements d’objectifs civils en Syrie, les dopages, etc. Qu’un tel personnage ose remettre en cause l’autorité du Patriarche œcuménique Bartholomée, qu’il accuse les Églises ukrainiennes – qu’elles soient orthodoxes ou (il y a peu) gréco-catholiques – d’être des freins à l’œcuménisme est insensé et dévoile un esprit revanchard qui, suite à l’effondrement de l’URSS, prévaut aujourd’hui en Russie.

Le discours du Cardinal, qui consiste à plaindre une Russie blessée par la « scission » de l’Église ukrainienne, rappelle les propos des hommes politiques qui sont inféodés à Moscou pour de multiples raisons.

L’autocéphalie accordée à l’Église orthodoxe ukrainienne est, selon le Cardinal, un événement tragique qui a rompu les liens entre l’Ukraine et la Russie. C’est pourquoi sa première réaction a été de pleurer… Assurément, ce prélat est très sensible aux malheurs d’une Russie qui a trouvé si difficile d’accepter l’indépendance politique de l’Ukraine. En revanche, peu importe le sort des Ukrainiens qui ont du subir la « colonisation » russe avec tout ce que cela a comporté de malheurs, de tragédies, de massacres, de génocides, de russifications, de falsifications de l’histoire de l’Ukraine, d’interdictions de la langue, de déportations. Aujourd’hui, c’est une guerre qui, chaque jour, fait des victimes (plus de 10 000 à ce jour) et a occasionné le déplacement d’un million et demi de personnes et l’amputation du territoire internationalement reconnu de l’Ukraine.

Le Cardinal va plus loin encore : selon lui, l’Occident a encouragé et soutenu la lutte de l’Ukraine pour l’indépendance et n’a pas exhorté l’Ukraine à préserver ses liens avec la Russie. Le référendum par lequel les Ukrainiens décidaient de leur propre sort est occulté par le Cardinal : il n’est tout de même pas judicieux de reconnaître le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en particulier s’il s’agit de se séparer de la Russie. A son avis, l’Ukraine devrait fonctionner comme un pont entre la Russie et l’Occident. Or, l’Ukraine, c’est l’Europe et la Russie, c’est l’Eurasie.

Le Cardinal exprime-t-il le point de vue du Vatican qui, selon lui, serait dans une position délicate à cause de l’Ukraine ? En effet, si le Vatican reconnaît l’autocéphalie de l’Ukraine, cela signifie un conflit avec le Patriarche moscovite et, dans le cas contraire, cela signifie un conflit avec le Patriarcat œcuménique.

Les plus ardents Ukrainophobes tiennent à peu près le même langage, transposé sur un plan politique, et affirment que l’Ukraine est un facteur de conflit. Parallèlement, les prétentions impériales de la Russie, aussi injustifiées soient-elles, ne sont jamais remises en cause.

B. Bilot