stopfake.org : les 10 infox (fakenews) les plus marquantes de la propagande russe pour l’année 2018

stopfake.org – Grâce à l’imagination des propagandistes russes, l’année écoulée a été riche en fakes. Pour mieux comprendre quelle image de l’Ukraine ils cherchaient à fabriquer, imaginez des Ukrainiens-antisémites qui jouent avec un Hitler en peluche et construisent une église qui est l’équivalent d’un « Daesh chrétien ». Et en attendant que la nouvelle année commence, votez pour le fake qui vous a le plus marqué.

Soirée-hommage à Nathalie Pasternak avec l’Ukraine au cœur

 

Le 4 janvier dernier à l’occasion du 70ème anniversaire de l’Union des Ukrainiens de France, l’association, présidée par Bohdan Bilot, a rendu hommage à Nathalie Pasternak, celle qui incarnait l’âme de la communauté ukrainienne en France. La soirée qui s’est déroulée à Paris, à l’espace culturel Wassyl Slipak, sous le haut patronage de son Excellence l’Ambassadeur d’Ukraine en France, Monsieur Oleh Shamshur, a été également l’occasion de présenter le livre d’Hélène Blanc « L’Ukraine au cœur », paru chez GINKGO éditions et consacré à Nathalie.

La salle, pleine à craquer, résonnait des témoignages de nombreuses personnes venues se souvenir des moments forts vécus aux côtés de Natalie et de souligner le rôle essentiel qu’elle a joué dans la vie de la communauté ukrainienne. Après les hommages vibrants rendus par l’Ambassadeur d’Ukraine en France et par Monseigneur Borys Gudziak, c’est le Président de l’Union des Ukrainiens de France, Bohdan Bilot, qui a présenté la biographie de Nathalie Pasternak « l’Ukraine au cœur », rédigée par la talentueuse Hélène Blanc. Une politologue et criminologue française, chercheur au CNRS, Hélène était aussi une amie fidèle de Nathalie. Très proche de la dissidente soviétique, Renata Lesnik, Hélène Blanc est probablement la seule politologue à avoir autant parlé de l’Ukraine et du Holodomor – le génocide ukrainien de 1932-1933.

A travers l’ouvrage, le lecteur fait non seulement une plus ample connaissance avec une femme d’exception, une militante, une mère aimante et amie dévouée, mais permet à ceux qui ne connaissent pas ou peu l’Ukraine, de comprendre certains événements majeurs qui ont changé le pays, ainsi que le destin de tous ceux qui, comme Nathalie, se battaient et qui prolongent le combat pour la liberté de l’Ukraine.

« Incapable de se résoudre à supporter les mensonges d’Etat, le dangereux expansionnisme militaire, impérialiste de Moscou menaçant l’existence même de l’Ukraine, les victimes militaires et civiles, dont le nombre augmente chaque jour en dépit des Accords de Minsk I et II, Natalka a incarné la fierté ukrainienne face à l’arbitraire, la résistance face à la lâcheté, le courage face au cynisme, à l’abjection, consacrant tout son temps à rétablir la vérité en dépit des obstacles, des trahisons, des insultes, de la diffamation et des menaces. En dépit aussi de l’incrédulité, de la naïveté des Européens de l’Ouest, de leur mauvaise foi ou de leur indifférence à la souffrance d’un peuple vivant aux portes de l’Europe », – peut-on lire dans l’ante-scriptum de l’ouvrage.

La soirée s’est achevée par un verre d’amitié et des kolyadky interprétés par la chorale de Saint-Volodymyr le Grand, des chants traditionnels ukrainiens de Noël que Nathalie aimait tant. Par ailleurs, le Président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, avait adressé une lettre à l’attention de l’Union des Ukrainiens de France, lui souhaitant « plein succès à cette manifestation ». L’Ambassadrice de France en Ukraine Isabelle Dumont, quant à elle, a adressé par courrier tous ses vœux de réussite à l’association en la félicitant pour « la contribution que l’Union des Ukrainiens de France apporte au renforcement des liens entre la France et l’Ukraine, ainsi qu’à une meilleure connaissance de l’Ukraine en France ».

Anna Chesanovska

La méthode du coucou – Vassili Veremeeff

J’ai été interpellé par une expression de votre émission « Histoire des frontières 3/4 » du 21/03/2018 sur France Culture, qui est pour moi un magnifique exemple de fausse évidence, instrumentale, qui se transmet à travers les siècles, aux conséquences géopolitiques incalculables dès son origine et jusqu’à aujourd’hui, que même un historien chevronné comme vous peut relayer inconsciemment : « … ce peuple des Rouss, les ancêtres des Russes ».

Je ne vous fais évidemment aucun procès d’intention à ce sujet, ce qui me paraît intéressant dans cette anecdote est précisément comment de fausses évidences répétées indéfiniment peuvent devenir des vérités que même les esprits les plus affûtés ne songent pas à mettre en question.

« Les Russes descendent de la Rus’ » semble un truisme pour tout le monde, tant cela paraît tomber sous le sens tout simplement linguistique, et ne mériter aucun examen. Or cette assertion est, au moins depuis Ivan le Terrible mais surtout Pierre le Grand puis Catherine II, au cœur du discours de légitimation de la domination impériale de la Russie sur l’Ukraine et la Biélorussie, sujet qui a repris une actualité brûlante avec l’annexion de la Crimée et la guerre hybride menée par la Russie contre l’Ukraine après la révolte pro-européenne et anti-corruption de Maidan.

La critique de cette fausse évidence a été notamment développée par une école d’historiens ukrainiens tels que Yaroslav Dashkevych et Volodymyr Bilinsky. Elle est au moins en partie reprise par des universitaires comme Françoise Thom et Jean-Sylvestre Mongrenier qui mettent en évidence l’importance du lien organique entre la Horde d’Or et l’état moscovite et son successeur l’état impérial russe. J’essaie d’en résumer ci-dessous les grandes lignes.

La Rus’ officiellement fondée vers 880 prend pour capitale Kiev en 882. Cet empire fédère un grand nombre de tribus slaves occupant notamment les territoires actuels de l’Ukraine et de la Biélorussie. A contrario, les territoires de Souzdal et Moksel, qui constituent aujourd’hui le cœur de la Russie (Moscou, Riazan, Toula…), sont peuplés par des groupes ethniques semi-primitifs finno-ougriens non slaves, principalement finnois : muromiens, vepsiens, mokshas, …

En particulier, les Bulgares de la Volga dont il est question dans votre émission sont un de ces peuples, avec semble-t-il une composante finnoise et une composante turco-mongole. Ce peuple animiste puis islamisé, est localisé au 9ème siècle au nord de l’empire khazar, sans continuité territoriale avec l’empire kiévien ; il est vassalisé par l’empire khazar et plus tard par la Horde d’Or. C’est un composant de la mosaïque de tribus finno-ougriennes qui peuplent alors les territoires se trouvant au cœur de l’actuelle Russie, avec laquelle la Rus’ n’entretient pas de relation. Jusqu’au 12ème siècle, seuls des peuples finno-ougriens occupent ces régions, on n’y trouve pas trace de présence slave, et notamment pas de sépultures slaves. Ainsi, la prétention de l’état russe à être le grand frère des peuples slaves héritiers de la Rus’ et qui plus est à en être le principal héritier est tout simplement sans fondement, car à supposer qu’elle le soit, il ne pourrait en aucun cas prétendre au statut de frère ainé mais tout au plus de cadet tardif et même posthume.

En 1137, Iouri Dolgorouki, fils (déshérité ?) de Volodymyr Monomaque, arrive dans la région, fédère des tribus finnoises et devient prince de Souzdal, inaugurant la dynastie dite des Riourikides. En 1169, son fils André Bogolioubski, issu d’une mère finnoise, prend et saccage Kiev (revanche d’une branche déshéritée ?). D’un point de vue rétrospectif, c’est l’acte inaugural d’un millénaire d’agression contre Kiev par ce qui deviendra la Moscovie à la fondation de la grande-principauté de Moscou (1340) puis la Russie par décision de Pierre le Grand (1721).

En 1237, les Mongols de la Horde d’Or conquièrent les territoires de Souzdal/Moksel. Les princes riourikides de Vladimir, Iouri et Iaroslav (père d’Alexandre « Nevski ») Vvsevolodovitch, se soumettent et entrent dans les rangs de la Horde, au sein de laquelle ils n’exercent pas d’autorité réelle, car la Horde installe partout sa propre administration. Iouri prend part à l’invasion de l’Europe par la Horde.

Cas particulièrement emblématique de la falsification de l’histoire de cette région, Alexandre Nevski, héros national russe, comme s’il avait jamais été russe (autant dire que Vercingétorix était français) est envoyé comme otage auprès du Khan Batou, suivant la coutume mongole. Il vit dans la société du Khan de 1238 à 1252, en adopte toutes les coutumes et conceptions sociétales, devient le frère de sang de Sartak, fils du Khan, arrière-petit-fils de Gengis Khan, et épouse la fille du Khan. Il remporte dit-on une victoire sur les Suédois en 1240 (l’existence même de cette bataille est controversée). La même année, son père est l’un des généraux de l’armée de la Horde d’Or qui prend et détruit Kiev, mettant un terme à l’existence de la Rus’ en tant qu’état souverain.

Si on en croit les historiographes russes, Alexandre Nevski remporte en 1242 une victoire majeure sur les chevaliers teutoniques engagés dans la colonisation de la région sous prétexte de christianiser les tribus païennes qui l’occupaient (la fameuse poussée vers l’est des allemands, déjà !). Cette deuxième victoire est censée être l’acte inaugural de la nation russe. En réalité, il s’agit d’une victoire de la Horde sur les chevaliers teutoniques. Il est remarquable que l’historiographie russe présente les choses de la manière suivante : « en 1240 Kiev est prise et détruite par la Horde d’Or » mais « en 1242, le russe Alexandre Nevski (à une époque où n’existait même pas une Moscovie vassale), bat les chevaliers teutoniques ». En prenant le même genre de liberté avec la rigueur historiographique, on pourrait tout aussi bien dire l’inverse « en 1240, Kiev est prise et détruite par une armée mongole composée en partie de russes » et « en 1242, la Horde d’Or bat les chevaliers teutoniques sur le lac Peïpous ».

En 1249, Alexandre Nevski, fidèle vassal de la Horde d’Or dont le père a participé à la destruction de Kiev et de la Rus’ souveraine, reçoit l’investiture du Khan Batou pour gouverner la principauté de Kiev désormais asservie à la Horde.

En 1252, le Khan destitue André, grand-prince de Novgorod, pour cause d’insoumission, et nomme à la place son frère Alexandre Nevski, en récompense de sa soumission à la Horde et de sa grande humilité. On est donc très loin de la théorie ridicule selon laquelle les slaves soumis aux mongols restent dans la région de Kiev, où ils deviendront les ukrainiens, alors que les slaves insoumis émigrent vers le nord (vers Moscou) pour continuer la lutte contre le « joug mongol », théorie esquissée par exemple par le site poutiniste « les Crises ».

La principauté de Moscou est créée en 1277 par décret du Khan Mengu-Timour en tant qu' »Ulus » c’est à dire vassalité ordinaire de la Horde d’Or, soit 37 ans après la destruction de la Rus’ de Kiev en tant qu’état. C’est la naissance de la Moscovie, prémisse de l’état que bien longtemps après Pierre le Grand, par un coup de génie politique, rebaptisera Russie.

Ce n’est que dans la première moitié du 14ème siècle que Moscou acquiert une importance politique au sein de la Horde d’Or, sous le règne de Iouri III de Moscou (beau-frère du Khan Özbeg) et de son frère putatif Ivan Kalita (surnommé « escarcelle » du fait de sa qualité de collecteur d’impôt de la Horde, par laquelle il inaugure une longue tradition de pillage des fonds publics qui perdure jusqu’à aujourd’hui). Ces relations familiales jettent une lumière assez particulière sur la composante mongole de la dynastie des riourikides ayant régné sur la Moscovie, totalement occultée. Qui pourrait penser qu’Agathe, épouse de Iouri III, est une princesse mongole sœur du Khan Özbeg? Qui plus est, pour certains auteurs Ivan Kalita ne serait pas le frère de Iouri III mais Kulkhan, le frère du Khan Özbeg, auquel cas la dynastie des riourikides russes s’éteindrait non pas en 1598 mais en 1325, pour laisser place à une dynastie purement mongole.

Toujours est-il que c’est la fidélité à la Horde d’Or combinée à un certain nombre de machinations qui permet aux moscovites de recevoir du Khan le Yarlik, qui leur confère la suzeraineté sur Vladimir/Souzdal au détriment de Tver. C’est le véritable point de départ de l’ascension de Moscou, qui récompense la politique de soumission de sa dynastie aux mongols. On peut citer par exemple l’écrasement dans le sang du soulèvement de Tver contre les collecteurs d’impôts de la Horde, par une armée de 50 000 mongols et moscovites conduits par Ivan Kalita.

La Moscovie demeure soumise au joug mongol jusqu’en 1480, c’est à dire jusqu’au crépuscule de la Horde d’Or, qui disparaît en 1502. L’entreprise de falsification délibérée de l’histoire commence avec Ivan le Terrible, avec le mythe de la 3ème Rome et de la soi-disant coiffe de Volodymyr Monomaque, qui est vraisemblablement une coiffe mongole.

Mais c’est Pierre le Grand qui en construit les éléments essentiels. Sans doute juge-t-il les origines mongoles de son empire assez peu compatibles avec son entreprise d’occidentalisation. Dès 1701 il prépare le terrain en ordonnant par décret la destruction de toutes les pièces historiographiques (archives, chroniques, documents d’églises…) qui infirment l’histoire telle qu’il la veut. En 1718, un incendie criminel (le feu ayant pris en différents endroits) ravage la Laure de Petchersk à Kiev, où étaient conservés l’essentiel des documents et archives de la Rus’ de Kiev. La voie est libre pour réécrire l’histoire. En 1721, Pierre le Grand transforme son état, la Moscovie, en Empire Russe. En s’appropriant le nom historique de Rus’, il annexe d’un seul coup toute l’histoire d’un état autre que le sien, et passe à la trappe l’origine mongole de la Moscovie. A cette date, les moscovites deviennent des russes. Le coucou a pondu dans le nid d’un autre oiseau, et dès son éclosion l’imposteur s’emploie à jeter hors du nid les œufs de ses concurrents, comme nous l’apprend l’observation de l’espèce.

Catherine II parachève la révision de l’histoire de son empire en faisant collecter de nombreux documents dont certains sont acquis en Europe occidentale, et en constituant une commission d’une dizaine d’historiens capables d’en produire une version ad-hoc. Une partie des documents sont délibérément détruits, des documents sont réécrits voire fabriqués de toutes pièces. Cette version ad-hoc de l’histoire de cet état et de son environnement est le fondement de l’historiographie russe moderne, à laquelle quasiment tout le monde se réfère.

En résumé, la Rus’ de Kiev a existé comme état souverain pendant 360 ans et a disparu sous les coups de la Horde d’Or, dont certains protagonistes sont des personnages vénérés par l’histoire officielle russe. Moscou apparaît plus de 30 ans après la disparition de la Rus’ et appartient à la Horde d’Or 240 ans après cette disparition. Durant les siècles d’existence de l’empire kiévien souverain, on ne trouve aucune mention d’un quelconque état moscovite qui aurait quelque autonomie que ce soit, c’est à la Horde et ses vassaux, fussent-ils slaves, que la Rus’ finit par succomber.

Et c’est ainsi que pour tout le monde il paraît évident que les Russes descendent de la Rus’ de Kiev, fausse-évidence qui n’est jamais questionnée. Il est pourtant assez frappant de constater à quel point les traits caractéristiques de la Horde d’Or structurent l’état russe jusqu’à nos jours : despotisme, violence politique, gouvernement par la terreur, société reposant exclusivement sur l’allégeance inconditionnelle à l’Etat personnifié en un chef tout puissant (khan, tsar, petit père des peuples, Poutine), lequel en dernière instance est propriétaire de la totalité de l’empire et de ses habitants, distribue des biens à des vassaux qui lui doivent tout et peuvent tout perdre en cas d’insoumission, enfin nécessité d’une expansion territoriale permanente comme source principale de légitimité du pouvoir.

En quelque sorte, la connaissance de la véritable origine de cet état le rend intelligible dans ses particularités de « pays non réformable ». Ce qu’avait très bien compris par exemple l’universitaire américain Richard Pipes, dont les analyses ne sont sans doute pas pour rien dans les choix politiques de l’Amérique reaganienne qui ont accéléré la faillite de l’URSS. Cet empire autocratique était, selon Pipes, fondamentalement différent de tous les autres états européens, par la permanence d’un « despotisme oriental » se perpétuant à travers les transformations les plus violentes : disparition de la Horde d’Or, révolution russe, chute de l’URSS. En somme l’histoire de la Russie est l’une des plus belles illustrations de la célèbre phrase de Tomasi di Lampedusa, selon laquelle il faut que tout change pour que rien ne change. Que rien ne change, c’est-à-dire que l’essentiel perdure : l’empire et le despotisme. Avec cette particularité que définit si bien l’aphorisme de Vauvenargues : « La servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer » – les Russes ont vénéré leurs tsars, adoré Staline, et dit-on, ils plébiscitent Poutine.

Vassili Veremeeff

Autocéphalie de l’Église orthodoxe ukrainienne : les larmes du cardinal

Le Cardinal Christoph Schönborn, dans un entretien pour « Kathpres’ », s’est livré à un exercice de style délicat dans lequel il entremêle, savamment, vœux d’œcuménisme, positions politiques et clichés historiques répandus par la Russie.

L’œcuménisme est un mouvement favorable à la réunion, en une seule, de toutes les Églises chrétiennes et n’est en aucun cas le seul dialogue entre catholicisme et orthodoxie. La teneur de l’entretien nous éloigne considérablement de la rencontre historique de 1964, à Jérusalem, entre le Pape Paul VI et le Patriarche œcuménique orthodoxe Athénagoras. Un tel événement ne s’était plus produit depuis le Concile de Florence (1438-1439). Par la suite, le Souverain pontife et le Patriarche œcuménique se sont rencontrés à Istanbul (siège du Patriarcat œcuménique) et au Vatican. A l’issue du Concile Vatican II (1965), il semble que les deux Églises aient levé les anathèmes prononcés respectivement, bien qu’il subsiste quelques réserves.

Le Cardinal déplore la décision du Patriarche œcuménique orthodoxe, Bartholomée, d’accorder l’autocéphalie à l’orthodoxie ukrainienne, en dépit du fait que cette décision soit parfaitement en conformité avec le droit orthodoxe. Selon le Cardinal Schönborn, l’autocéphalie de l’Église orthodoxe ukrainienne nuirait aux relations œcuméniques entre les Églises catholiques et orthodoxes ; la thèse est purement moscovite.

Depuis quand le Patriarcat de Moscou représente-t-il la chrétienté orthodoxe ?

Cette façon de mettre en avant l’orthodoxie russe est contraire à l’esprit œcuménique et révèle un parfait assujettissement à la conception de l’orthodoxie russe, qui a toujours été au service de l’État russe, quelle qu’en soit la nature. Le Patriarche russe, Cyril, compagnon de route de Poutine, dont l’appartenance au KGB est bien connue (devenue vraisemblablement de nos jours une appartenance au FSB) n’est moralement pas le meilleur interlocuteur. Ce Patriarche n’a jamais condamné les exactions commises durant les deux guerres de Tchétchénie, les violations du droit international, les annexions, les agressions russes, les mensonges de Poutine, les bombardements d’objectifs civils en Syrie, les dopages, etc. Qu’un tel personnage ose remettre en cause l’autorité du Patriarche œcuménique Bartholomée, qu’il accuse les Églises ukrainiennes – qu’elles soient orthodoxes ou (il y a peu) gréco-catholiques – d’être des freins à l’œcuménisme est insensé et dévoile un esprit revanchard qui, suite à l’effondrement de l’URSS, prévaut aujourd’hui en Russie.

Le discours du Cardinal, qui consiste à plaindre une Russie blessée par la « scission » de l’Église ukrainienne, rappelle les propos des hommes politiques qui sont inféodés à Moscou pour de multiples raisons.

L’autocéphalie accordée à l’Église orthodoxe ukrainienne est, selon le Cardinal, un événement tragique qui a rompu les liens entre l’Ukraine et la Russie. C’est pourquoi sa première réaction a été de pleurer… Assurément, ce prélat est très sensible aux malheurs d’une Russie qui a trouvé si difficile d’accepter l’indépendance politique de l’Ukraine. En revanche, peu importe le sort des Ukrainiens qui ont du subir la « colonisation » russe avec tout ce que cela a comporté de malheurs, de tragédies, de massacres, de génocides, de russifications, de falsifications de l’histoire de l’Ukraine, d’interdictions de la langue, de déportations. Aujourd’hui, c’est une guerre qui, chaque jour, fait des victimes (plus de 10 000 à ce jour) et a occasionné le déplacement d’un million et demi de personnes et l’amputation du territoire internationalement reconnu de l’Ukraine.

Le Cardinal va plus loin encore : selon lui, l’Occident a encouragé et soutenu la lutte de l’Ukraine pour l’indépendance et n’a pas exhorté l’Ukraine à préserver ses liens avec la Russie. Le référendum par lequel les Ukrainiens décidaient de leur propre sort est occulté par le Cardinal : il n’est tout de même pas judicieux de reconnaître le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en particulier s’il s’agit de se séparer de la Russie. A son avis, l’Ukraine devrait fonctionner comme un pont entre la Russie et l’Occident. Or, l’Ukraine, c’est l’Europe et la Russie, c’est l’Eurasie.

Le Cardinal exprime-t-il le point de vue du Vatican qui, selon lui, serait dans une position délicate à cause de l’Ukraine ? En effet, si le Vatican reconnaît l’autocéphalie de l’Ukraine, cela signifie un conflit avec le Patriarche moscovite et, dans le cas contraire, cela signifie un conflit avec le Patriarcat œcuménique.

Les plus ardents Ukrainophobes tiennent à peu près le même langage, transposé sur un plan politique, et affirment que l’Ukraine est un facteur de conflit. Parallèlement, les prétentions impériales de la Russie, aussi injustifiées soient-elles, ne sont jamais remises en cause.

B. Bilot