Communiqué du collectif Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre, de l’Union des Ukrainiens de France et de la Licra

Chaque jour de nouveaux crimes de guerre sont commis par l’armée russe. Le 4 août 2022, à Popasna dans l’oblast de Louhansk, on découvre les têtes empalées de soldats ukrainiens. Le même jour, Amnesty International publie un très bref rapport : l’essentiel du texte reproche à l’armée ukrainienne de mettre sa population en danger, tandis que les bombardements russes visant systématiquement les civils sont à peine évoqués. Sans surprise, ce « rapport » a été salué par les autorités russes et leurs complices en France et en Europe. Le collectif Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !, l’Union des Ukrainiens de France et la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme s’indignent devant pareille mascarade intellectuelle et demandent à Amnesty International de retirer son rapport.

La prétendue neutralité d’Amnesty International confine à la mascarade intellectuelle

Au nom d’une prétendue neutralité, le rapport d’Amnesty International fait comme si les deux belligérants s’affrontaient en terrain neutre. Or, nous avons affaire à une guerre d’agression caractérisée, qui contraint l’armée ukrainienne à combattre à l’intérieur des villes, systématiquement ciblées par l’agresseur qui entend procéder à leur destruction. La politique de terreur de l’armée russe – bombardement des hôpitaux et immeubles d’habitation, viols, déportation des enfants, tortures et massacres des prisonniers -, rencontre inévitablement une résistance dans laquelle sont engagés, souvent indistinctement, civils et militaires.

Le rapport d’Amnesty sème le doute sur les crimes de guerre russes.

Ce contexte – la violation brutale et flagrante du droit international que constitue l’invasion russe de l’Ukraine – est absent du rapport, où rien ne distingue l’agresseur de l’agressé. C’est d’autant plus regrettable que la réalité des crimes de guerre russes à Marioupol a été constatée par Amnesty International dans un rapport antérieur. Pire, le dernier communiqué en vient à semer le doute sur les crimes de guerre russes envers les civils ukrainiens, documentés préalablement.

Si la « neutralité » dont se prévaut Amnesty a, jusqu’ici, assuré sa crédibilité dans la défense des droits humains, l’impartialité ne peut se réduire à l’équation « 5 minutes pour les victimes, 5 minutes pour les agresseurs » ; sauf à se transformer en indifférence à l’égard de la tragédie des peuples et en aveuglement désastreux face à cette guerre qui oppose une démocratie à une dictature totalitaire.

Un aveuglement qui nuit à la crédibilité d’Amnesty International

Le communiqué du 4 août est indigne des missions d’Amnesty et de la défense des droits humains. La démission d’Oksana Pokalchuk, directrice de la branche ukrainienne d’Amnesty, aurait dû être un avertissement. Hélas, le lendemain, par la voix de sa directrice internationale, Agnès Callamard sur Twitter, l’ONG persiste dans sa position et récuse les critiques que lui adressent les Ukrainiens. Le 7 août, face à une vague massive de condamnations, Amnesty « maintient ses conclusions » tout en « regrettant » leur effet en Ukraine.

Ces « regrets » opportunistes ne suffisent pas ! Comme elle l’a fait antérieurement (en désavouant sa décision erronée de retirer son statut de prisonnier de conscience au dissident russe, Alexeï Navalny), Amnesty International doit se ressaisir et rejeter cette malheureuse caricature d’elle-même. Sa crédibilité est en jeu.

8 août 2022

À propos du Collectif Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !

Créé par 130 universitaires rejoints par de nombreux partisans et partisanes de la cause ukrainienne, le Collectif publie des tribunes et mène des actions en soutien à la cause de l’Ukraine. Campagne en cours : « Il faut sauver les enfants ukrainiens déportés en Russie ».

A propos de l’Union des Ukrainiens de France

La plus importante association ukrainienne en France, crée en 1949 par les Ukrainiens déportés dans les camps de travail ou à Sachsenhausen, par les nazis. L’UUF a récemment, du 15 au 31 juillet, pris en charge et accueilli 10 orphelins de la guerre en Ukraine, dans son centre de vacances en Franche Comté.

À propos de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme

La Licra, fondée en 1927, combat le racisme et l’antisémitisme en accompagnant les victimes devant les tribunaux, en intervenant de diverses manières dans le débat contemporain, le crime contre l’humanité, tel celui dont le processus est aujourd’hui engagé en Ukraine, étant un élément central de ce débat.

Il faut sauver les enfants Ukrainiens déportés en Russie

À l’initiative du Collectif Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ! une Tribune dénonce la tentative de Poutine de faire adopter les enfants Ukrainiens par des familles russes. (le Monde daté du 2 aout)

DÉPORTER DES ENFANTS UKRAINIENS ET LES “RUSSIFIER”, C’EST AMPUTER L’AVENIR DE L’UKRAINE

Par Jonathan Littell (écrivain et cinéaste), Bernard Golse (pédopsychiatre, fondateur de l’Institut de l’enfance,) Véronique Nahum-Grappe (anthropologue), Pierre Lévy-Soussan, (pédopsychiatre), Nicolas Tenzer,(politiste), Sylvie Rollet,(collectif Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !)

« Dans sa nostalgie d’une Europe Centrale vassalisée où toute contestation était écrasée d’un envoi de chars à Budapest ou Prague, le Kremlin ravage l’Ukraine depuis quatre mois sous couvert de « dénazification » et de négation de la nation ukrainienne, usant d’une stratégie de terreur qui rase les villes, massacre et viole les civils et déplace les populations. Du 24 février au 18 juin 2022, plus de 1,9 million d’ukrainiens, dont plus de 307 000 enfants, selon les chiffres officiels russes, ont ainsi été transférés de force vers la Fédération de Russie, sans garantie ni contrôles extérieurs sur leurs conditions de vie et leur avenir. Ce transfert par des couloirs d’évacuation à sens unique, vers des « camps de filtration », puis des lieux aussi retirés que Mourmansk, le Kamtchatka ou la frontière nord-coréenne, fait ressurgir le spectre des déportations perpétrées par la Russie tsariste et l’Union Soviétique.

Nos inquiétudes les plus vives portent sur le sort des enfants déportés, notamment des plus vulnérables d’entre eux : les orphelins. Parmi ces derniers, plus de 2000 étaient enregistrés avant l’invasion dans des orphelinats ukrainiens, auxquels s’ajoutent un nombre inconnu d’enfants récemment rendus orphelins par l’invasion russe et, lors de leur passage en « camps de filtration », d’enfants séparés de leurs parents soupçonnés d’appartenir à l’armée ou à la résistance ukrainienne. Comme le craignent les enquêteurs nommés par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, ces enfants risquent tous d’être adoptés par des familles russes : 108 d’entre eux, originaires de la région de Donetsk, l’ont déjà été selon l’annonce du Défenseur des droits ukrainiens, le 20 juillet.

En effet, la Russie n’a pas ratifié la Convention de la Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, seul cadre légal transnational permettant les procédures d’adoption internationale. Un décret, signé par Poutine le 25 mai 2022, qui simplifie l’octroi de la nationalité russe aux enfants ukrainiens facilite même leur adoption. Ce texte est assorti d’une loi votée le 7 juin 2022 qui autorise la Fédération de Russie à ne plus appliquer les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. De fait, la Fédération de Russie ne se sent nullement contrainte au respect d’un droit international humanitaire dont elle récuse le cadre. Aussi, les demandes adressées au Kremlin par les autorités ukrainiennes, qui réclament le retour des enfants déportés, dépendent totalement du bon vouloir de l’envahisseur, qui ne les satisfait qu’au compte-goutte : 23 seulement étaient revenus en Ukraine en juin, 44 début juillet.

Qu’en est-il de tous les autres ? Certains « sont en cours de rééducation », a déclaré le 31 mai 2022 la Commissaire Présidentielle aux Droits de l’Enfant de la Fédération de Russie, récemment sanctionnée par le Royaume Uni pour son rôle dans le transfert et l’adoption forcée d’enfants ukrainiens. La « rééducation » des enfants ukrainiens fait, en effet, partie du plan d’éradication de la nation ukrainienne, publié en avril 2022 par un proche de Poutine, et avec les propos négationnistes de l’identité ukrainienne tenus quotidiennement dans les médias russes.

Si le droit international humanitaire place au premier rang, dans le cas d’un conflit armé, le respect de l’intégrité des enfants, c’est qu’ils sont toujours les otages du monde des adultes dans des enjeux qui les dépassent et, en particulier, la cible privilégiée des pratiques « d’épuration/assimilation ». Le trafic d’enfants, via des procédures d’adoption illégales, a été systématiquement organisé dans l’Espagne franquiste ou durant la dictature argentine. Durant la Seconde Guerre mondiale, entre 50 000 et 200 000 enfants enlevés en Pologne ou dans d’autres pays occupés ont été « adoptés » par des familles « aryennes », à l’instigation du régime nazi. Le kidnapping de masse d’enfants, dans un conflit armé, et leur instrumentalisation comme objet dont on dispose, au gré des « lois » autocratiques, expose alors l’enfant à la destruction radicale de son passé, de ses fondations psychiques, que l’on peut qualifier de meurtre d’âme. Le destin de l’enfant en sera marqué à jamais.

Comment imposer le respect des droits fondateurs de l’humanité à un envahisseur qui ne respecte que la force ? Les démocraties ont, en effet, du mal à comprendre à quel point est valorisé et légitime, dans la culture du Kremlin et du KGB si ce n’est dans la culture russe en général, la cruauté extrême contre les civils de tout âges et sexes. Lorsque cela touche à l‘enfance, dont la vulnérabilité rend obligé et sacré le devoir de protection de l’adulte, les instances internationales ne parviennent pas à imaginer le sort possible et probable des enfants déportés d’Ukraine.

La morale politique du pouvoir russe actuel est, en effet, marquée par l’union de deux traditions de prédation et de violence : celle qui a cours dans le crime organisé et celle qui régit les relations au sein du KGB devenu FSB. Elles ont en commun une même conviction : considérer que les pires moyens sont légitimes pour arriver à ses fins de prédation et de pouvoir. L’arbitraire, les manipulations, les crimes et les mensonges pour les couvrir sont alors des performances normales voire talentueuses de l’action politique.

D’où aussi la valorisation de la cruauté considérée comme preuve de l’infaillibilité politique de celui qui s’en sert et qui pourra, dès lors, gravir les échelons du pouvoir et accéder aux postes de direction. D’où un mépris absolu des vies humaines et du principe même de leurs droits. D’où un interdit frappant la sensibilité humaniste, perçue comme ridicule et signe de faiblesse. Ainsi, toute l’histoire du totalitarisme soviétique, dont le système poutiniste est à bien des égards l’héritier, est marquée par une lourde tradition de déportations et de massacres des populations civiles de tout âge et sexe dont jamais les enfants n’ont été épargnés.

Cela devrait alerter les témoins extérieurs : le pouvoir actuel du Kremlin ne préservera pas les enfants ukrainiens. Filières d’adoptions forcées ? Endoctrinement dans les institutions de recueil des enfants ? Trafics criminels de toutes sortes ?

Dans cette guerre d’agression insensée, le programme de russification imposé dans les régions d’Ukraine envahies depuis 2014 dessine clairement les contours de la politique qu’a commencé à mettre en œuvre la Russie : tandis que les habitants ukrainiens sont assassinés ou déportés, des populations venues de Russie y sont implantées, parfois de force. C’est là une véritable « révolution démographique », reposant sur le remplacement des populations autochtones.

Il doit être clair que rien ne protège les enfants de cet usage politique assumé et légitimé des crimes contre l’humanité comme choix tactique délibéré.

Si les débats sur la dimension génocidaire de l’agression de Poutine contre l’Ukraine ont commencé dès la révélation des assassinats en masse et des crimes de guerre commis par l’armée russe, avec la déportation des enfants, la Russie franchit un pas supplémentaire. Si, comme le précise l’article II-e de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, le « transfert forcé d’enfants du groupe [victime] à un autre groupe » fait partie des actes génocidaires, c’est qu’un génocide vise à l’extinction du genos, la lignée qui assure la perpétuation, donc l’avenir, d’un groupe humain.

L’« opération spéciale » de Poutine, est de fait une tentative d’annihilation de l’Ukraine : la négation de son passé ─ ses traditions culturelles ─ et de son présent ─ sa légitimité étatique ─ se poursuit dans la tentative d’effacement de sa culture et de sa langue par la russification forcée des enfants déportés. Il en va de même dans les territoires occupés par l’armée russe où l’éradication de l’identité ukrainienne atteint d’abord les jeunes générations : les enfants nés après le 24 avril y sont automatiquement déclarés de nationalité russe ; la seule langue d’enseignement est le russe ; les programmes scolaires purgés de toutes les références à l’Ukraine, sont désormais ceux de la Fédération de Russie. Dans le sud occupé de l’Ukraine, les enfants dont les parents n’acquièrent pas de passeports russes ou n’envoient pas leurs enfants dans les écoles russifiées seront retirés à la garde de leur famille.

Assigner un « futur russe » aux enfants, c’est, pour Poutine, amputer l’avenir de l’Ukraine et bouleverser celui de l’Europe.

Il est de notre responsabilité de mettre au plus vite un terme à cette entreprise destructrice, qui fait fi des lois internationales contraignant chaque pays à considérer l’intérêt de l’enfant comme d’une importance « primordiale », c’est-à-dire fondatrice de sa vie et son avenir.

La Convention de 1948 est explicite dans son article premier : « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir ». Énoncé après la Seconde guerre mondiale, ce principe, au-delà de sa valeur juridique a valeur de prévention et d’impératif moral.

Quelle forme doit prendre cet impératif alors que l’éradication de l’identité ukrainienne suit son cours ? S’il est urgent d’amplifier considérablement sanctions, soutien militaire, matériel et logistique, les gouvernements Européens et toutes les démocraties ont une obligation de protection. Ils doivent intervenir unanimement et publiquement en exigeant de la Russie la libération des enfants et de tous les déportés et interpeller les organisations internationales concernées, dont l’Unicef et la Croix-Rouge, afin qu’elles agissent au plus vite. »

Lettre ouverte à Mr François-Bernard Huyghe Directeur de recherches – Institut des relations internationales et stratégiques

Monsieur, 

Ce jour, lors d’une émission sur la chaîne CNEWS, vous avez déclaré que Stephan Bandera était l’allié de la Wehrmacht durant la seconde guerre mondiale.  L’Union des Ukrainiens de France reconnaît à tout un chacun le droit d’exprimer son opinion,  toutefois sans rester passive devant des déclarations qui sont contraires à des faits établis.

Votre opinion au sujet de Stephan Bandera est largement exprimée par le FSB (et par Poutine,  en personne). Il est vrai que la collaboration avérée de « l’armée russe de libération » de Vlassov ou la SS russe de l’odieux Kaminski sont passées sous silence. 

L’essentiel est de discréditer l’Ukraine  et les Ukrainiens. 

Si vous l’ignoriez, Stephan Bandera ainsi que les hauts responsables de son mouvement furent arrêtés après la proclamation de la restauration de l’état ukrainien (Lviv, le 30 juin 1941, l’invasion de l’URSS date du 22 juin 1941) et furent internés dans le camp de concentration de Sachsenhausen jusqu’en septembre 1944. En juillet et août 1941, de nombreux « Banderovistes » furent arrêtés. 

Le 25 novembre 1941, le SD nazi donna l’ordre d’arrêter les « Banderovistes » et de les fusiller sans jugement.  Cet ordre figure parmi les documents d’accusation du procès de Nuremberg sous le numéro 014-USSR numéro 7.

La devise des « Banderovistes »  était : Liberté pour les peuples et pour les hommes,  la ligne politique était : Ni Moscou,  ni Berlin.

Pouvez-vous, Monsieur, prétendre que Stephan Bandera était l’allié de la Wehrmacht ?

Bohdan Bilot, Président de l’Union des Ukrainiens de France

Paris, le 10 avril 2022

Conference de l’institut des hautes etudes de la defense nationale (region centre val de loire) – L’UKRAINE ET LA RUSSIE

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie de me fournir l’occasion d’exprimer un point de vue qui est peu ou très mal exposé, que ce soit par des femmes ou des hommes politiques, des publicistes, des journalistes ou des néo historiens.

Je m’exprime ici en qualité de Président de l’Union des Ukrainiens de France. Cette association a été créée en 1949 par des Ukrainiens qui étaient confinés dans des camps de personnes déplacées. C’est donc d’Allemagne ou d’Autriche que ces Ukrainiens émirent le choix de s’installer en France. Les premiers Présidents de l’association étaient tous des rescapés des camps d’extermination nazis, principalement d’Auschwitz, d’Oranienburg, Sachsenhausen. Les adhérents venaient d’horizons divers : jeunes ukrainiennes et ukrainiens déportés en Allemagne pour servir d’esclaves, combattants de l’armée d’Anders qui s’étaient distingués lors de la bataille de Monte Cassino ou plus simplement d’Ukrainiens qui étaient en France avant la guerre et qui avaient servi dans la légion étrangère. De nos jours, nos adhérents sont très majoritairement français, quoique suite à l’invasion russe en Ukraine et à l’arrivée de réfugiés, cette tendance s’inverse.

Nous avons reçu d’innombrables propositions d’hébergement, de donations, d’aides caritatives et humanitaires, des propositions d’aide active ainsi que des milliers messages de soutien et de condamnation de l’agression russe en Ukraine. L’immense solidarité avec les réfugiés ukrainiens s’est exprimée sur tout le territoire national et a prouvé, s’il en était besoin,  que la France est digne de son prestige passé, présent et à venir.

Je vais m’efforcer de rester objectif pour dénoncer les clichés, les calomnies, les interprétations historiques erronées et évoquer les non dits, en résumé, de lever les obstacles qui nuisent à la recherche de ce qui juste et vrai.

Les Russes et les Ukrainiens, sont-ils un même peuple, ainsi que l’affirme Vladimir Poutine. Les Russes, Biélorussiens, Ukrainiens sont-ils des peuples frères issus du berceau commun, la Rouss de Kyiv (Kiev étant la dénomination russe).

Les russophones d’Ukraine sont-ils russes ? Sont-ils des Ukrainiens pro-russes ? Durant la seconde guerre mondiale, les Ukrainiens ont-ils été les alliés des nazis ? Actuellement, y-a-t’il des néo-nazis en Ukraine ? Le différend russo-ukrainien débute avec l’interprétation du grand état médiéval que fut le Rouss de Kyiv et qui en est le légataire ?

Le grand duc de Moscovie, Basile III (1505-1533) après avoir annexé quelques territoires voisins rajouta à son titre celui de souverain de toute la Rouss  (l’etnonyme Russie apparaîtra en 1721, avec Pierre le Grand 1672-1725).

Karamzine (1766-1826) fondateur de l’historiographie impériale russe, écrivait que la Rouss de Kyiv correspondait à la naissance de la Russie et que Kyiv était la mère des villes russes.

Pogodine (1800-1875), historien et écrivain russe affirmait que les Russes étaient les fondateurs de la Rouss de Kyiv et qu’ils vécurent à Kyiv jusqu’au 13ième siècle, plus précisément jusqu’en 1240, date de la prise de la ville par les Mongols. Ces « Russes » auraient émigré vers des territoires situés entre la Volga et l’Oka. Selon lui les Ukrainiens seraient apparus au 14ième siècle et occupèrent le bassin moyen du Dniepr, de la Volynie et la Galicie. Pogodine ne dit pas d’où venaient ces Ukrainiens. L’ethnogenèse des Russes a débuté entre la Volga et L’Oka au 11ième siècle et non pas au 13ième siècle. Afin de palier à ce regrettable anachronisme, il fut lancé une campagne destinée à faire naître dans la conscience populaire l’idée que la Rouss de Kyiv était le berceau « des trois peuples frères » (Russes, Biélorussiens, Ukrainiens). Ces peuples seraient issus d’un ancien peuple Rouss, cela créait l’illusion d’une parfaite unité organique et avait le notable avantage de considérer les grands princes de princes de Kyiv Volodymyr (Vladimir en russe) et Yaroslav le Sage, comme étant les fondateurs de l’état russe.

L’académicien Pokrovsky (1868-1932) avec d’autres historiens russes soviétiques a considéré sous un angle totalement différent le processus ethnique de la Rouss de Kyiv. Ils arrivaient quasiment aux mêmes conclusions que le grand historien ukrainien Hruchevsky. Ils considéraient que les peuples slaves orientaux de l’état de Kyiv vivaient chacun dans des espaces bien définis, avaient des langues spécifiques et connurent des évolutions distinctes. Les proto-ukrainiens subirent l’influence de la civilisation  gréco bizantine. La Belarus s’est formé sur le substrat balte et Rouss de Kyiv et plus tard dans un cadre confédéral polono-lituanien. L’ethnos russe s’est formé durant la colonisation par les slaves des espaces boisés qui étaient alors occupés par des Baltes et des tribus finno-ougriennes. L’école russe de Pokrovsky, à l’instar de l’école ukrainienne de Hruchevsky, n’incluait pas la Rouss de Kyiv dans l’histoire de la Russie qui débutait, selon eux, à partir de la principauté de Souzdal.

Le 10 janvier 1954, le Comité central du parti communiste de l’URSS  publia dans la Pravda un article qui stipulait qu’entre les 9ième et 11ième siècles s’est formée une nation proto-russe qui avait une unicité de langue, de culture et le sentiment patriotique d’appartenir à une seule nation. Les invasions mongols, polonaises, lituaniennes auraient donné naissance aux nations : russe, ukrainienne, et biélorussienne.

En juillet 2021, Vladimir Poutine,  expliquait dans un très long exposé que Russes et Ukrainiens sont un seul et même peuple, que l’Ukraine moderne est une création de l’ère soviétique et que, suite à l’effondrement de l’Union soviétique, les Etats Unis et l’Union européenne ont poussé Kyiv à adopter une attitude hostile envers Moscou.

Les principales périodes de l’histoire de l’Ukraine sont :

– 813 à 1349   : Epoque des grands princes,

– 1349 à 1648 : Epoque polono-lituano-ukrainienne,

En 1648, les cosaques ukrainiens signèrent un traité d’assistance militaire avec la Moscovie. L’original du traité s’est fort opportunément perdu et a été interprété par Moscou comme étant un traité d’allégeance. La Moscovie enserrera peu à peu l’Ukraine dans une étreinte fraternellement mortelle.

– 1648 à 1659 : Etat indépendant des Cosaques,

– 1659 à 1783 : Etat autonome : le Hetmanat cosaque,

– 1784 à 1917 : Province de la Russie,

– 1917 à 1920 : Etat indépendant,                                                 

– 1919 à 1941 : L’Ukraine occidentale est sous domination polonaise, (Traité de Versailles et du Trianon)

– 1922 à 1941 : Période soviétique,

– 1941 à 1944 : Occupation allemande,

– 1944 à 1991 : Période soviétique.

De 1686 à 1910 s’effectueront d’innombrables interdictions : religieuses et linguistiques.  Liquidation de l’Eglise orthodoxe autonome d’Ukraine, interdiction des prêches en langue ukrainienne dans les églises.

1687 : Obligation pour l’Hetmanat ukrainien d’accroître les mariages mixtes russo-ukrainiens

1709 : Pierre 1er (Le Grand)  instaure par ukaze une censure pour toutes les publications en langue ukrainienne.

1720 : Ukaze de Pierre 1er (Le Grand)  interdisant l’édition de nouveaux livres en langue ukrainienne.

1775 : Décret de Catherine II (la Grande) ordonnant la destruction de la Sitch des Cosaques Zaporogues et leur déportation dans le Kouban.                                   

1783 : Ukaze de Catherine II (la Grande) introduisant le servage en Ukraine.

1834 : Création de l’Université impériale de Kyiv qui a pour but de finaliser la russification de tout le sud ouest de l’empire.

1847 : Liquidation de la confrérie Cyril et Méthode qui prônait l’abolition de l’esclavage et la généralisation de l’enseignement. Les membres de la confrérie furent arrêtés et déportés.

1876 : Circulaire de Valouïev qui interdisait tout écrit en ukrainien, et prônait la fermeture des écoles hebdomadaires ukrainiennes, déportation de personnalités ukrainiennes.

1888 : Alexandre III interdit l’usage de l’ukrainien lors des manifestations officielles.

1908 : Ukaze du sénat russe mettant l’accent sur la nocivité de la culture et de l’éducation ukrainienne.

1910 : Circulaire de Stolypine interdisant les associations ukrainiennes et juives quelle qu’en soit la finalité.

1938 : Le russe est obligatoire dans les écoles d’Ukraine

1938 : Le 14ième congrès du parti communiste de l’URSS qui prône l’intensification de la russification en Ukraine.

1983 : Décision d’augmenter de 16% le salaire des enseignants qui favorisaient en Ukraine l’extension de la langue russe dans les écoles et activités para scolaires.

1989 : Le Comité central du parti communiste institue le russe en tant que langue unique en URSS.

En dépit de toutes ces mesures répressives, la langue et la culture ukrainienne ont réussi à subsister et l’aspiration à la liberté n’a jamais faibli. Voltaire dans son histoire de Charles XII de Suède écrivait « l’Ukraine a toujours aspiré à être libre ».

Le 17 mars 1917, une semaine après le début de la révolution russe était constitué à Kyiv un Parlement ukrainien « La Rada Centrale ». 

En novembre 1917, la Rada Centrale s’empara de la totalité du pouvoir en Ukraine.

Le 20 novembre 1917, l’indépendance de la république nationale d’Ukraine était proclamée, la France et la Grande Bretagne reconnaissaient de facto l’existence de cette république.

Le 9 février 1918, l’Etat ukrainien signe avec la Russie un traité de reconnaissance réciproque, le jour même Kyiv est occupé par les troupes soviétiques russes.         

Le 3 mars 1918, la Russie soviétique signe à Brest-Litovsk  un nouveau traité qui reconnaissait l’existence de l’Etat ukrainien. Le 5 février 1919, les troupes russes occupent Kyiv.

Le 31 août 1919, l’armée ukrainienne déloge les Soviétiques russes mais doit rapidement abandonner la capitale au profit de l’armée blanche tsariste du général Denikine. Celui-ci, était largement soutenu par les pays de l’entente qui étaient partisans d’une grande Russie indivisible. Sur le sol ukrainien, s’affrontèrent l’armée rouge, l’armée blanche, l’armée nationale ukrainienne, les bandes anarchistes de Nestor Makhno ainsi que de nombreux chefs de bandes qui se ralliaient tour à tour à chacun des protagonistes.

En avril 1920, l’Ukraine et la Pologne signent un traité d’assistance militaire et font face aux troupes russo soviétiques.

En octobre 1920, la Pologne signa un armistice avec la Russie soviétique, les troupes ukrainiennes quittèrent le territoire national et furent désarmées en Pologne, c’était la fin de l’indépendance de l’Ukraine. Durant cette période trouble, la population juive d’Ukraine et de la Bélarus endurèrent d’abominables pogromes. Du temps de la Moscovie, puis de la Russie impériale, les Juifs étaient interdits de séjour en Russie ethnique. Le peu de Juifs qui y séjournaient étaient outrageusement taxés. L’état russe pratiquait un antisémitisme qui atteindra son apogée avec Alexandre III,

Les lois racistes édictées à cette époque seront surpassées par les lois anti juives nazies. Tout était fait pour attiser la haine de la population à l’égard des Juifs qui étaient accusés de tous les maux qui accablaient l’empire russe. Le plus invraisemblable était l’accusation de crimes rituels et l’élaboration des protocoles des sages de Sion créées par la police secrète tsariste, qui faisaient état d’une prétendue conférence des leaders du judaïsme mondial pour dominer le monde. Aucune des parties présentes sur le sol ukrainien ne fut exempte de cette ignoble pratique. La propagande soviétique attribua ces crimes aux Ukrainiens.

Durant l’entre deux guerres, l’Ukraine a supporté une russification forcenée et l’élimination physique de son élite intellectuelle. Entre 1928 et 1938, environ un million d’Ukrainiens ont été fusillés. Le plus horrible et le plus inhumain des crimes à l’encontre du peuple ukrainien fut la famine artificielle de 1932-1933 organisée par Staline, qui provoqua environ 5 millions de victimes ukrainiennes,  celles-ci furent remplacées par des citoyens russes.

Après avoir rompu l’odieux pacte germano-soviétique, l’armée allemande fut bien accueillie en Ukraine, cela ne dura pas, la conduite des nazis différait peu de celle des soviétiques. L’Ukraine ne fut pas la seule à réserver un bon accueil aux troupes allemandes, les Baltes en firent de même ainsi que certains Russes, l’accueil fait aux Allemands à Smolensk illustre parfaitement ce propos.   Les Ukrainiens pensaient se débarrasser de Staline, du communisme et de recouvrer l’indépendance et la liberté, ce qui ne signifie pas qu’ils adhéraient au national socialisme et aux thèses racistes du fait qu’eux-mêmes étaient perçus par les Allemands comme des « Untermenschen » slaves.

La propagande du Kremlin n’a de cesse d’évoquer un prétendu passé nazi de l’Ukraine, tout en restant d’une extrême discrétion quant au pacte germano-soviétique et à « l’armée russe de libération » du général Vlassov qui a compté jusqu’à 80.000 hommes. Cette armée n’a pas combattu que les soviétiques mais est venue servir le Reich jusqu’en France, certains de ces détachements se sont joints à la division SS Das Reich pour martyriser le village d’Oradour sur Glane. En outre, il fut créé 2 divisions de SS russes. Vladimir Poutine se cantonne à la « grande guerre patriotique » qui n’était pas que russe mais soviétique.

Une semaine après l’entrée des nazis en Ukraine, soit le 30 juin 1941, les nationalistes ukrainiens du mouvement de Stepan Bandera proclamèrent à Lviv, la restauration de l’Etat ukrainien. La réaction allemande fut instantanée  et brutale, Bandera et les Hauts responsables de son mouvement furent arrêtés par la gestapo et internés jusqu’en septembre 1944 dans le camp de Sachsenhausen. La devise de ce mouvement était « Liberté aux peuples et aux hommes »,  la ligne politique était « ni Moscou, ni Berlin ».

En juillet et août 1941 il fut procédé à l’arrestation de nombreux militants de ce mouvement. Le 25 novembre 1941, le SD (Service de Sécurité nazi) donna l’ordre d’arrêter les Banderovistes (Banderovisten banditen) et de les fusiller sans jugement. Cet ordre figure parmi les documents d’accusation du procès de Nuremberg sous le numéro 014-USSR, numéro 7. En avril/mai 1942, des petits groupes d’auto défense furent créés, à l’automne ils fusionnèrent, ce qui donna naissance à l’armée insurrectionnelle UPA. Cette armée a compté jusqu’à 300.000 hommes et a combattu tout à tour les nazis et les soviétiques. C’est en 1956, que cette armée livra son ultime combat. Pour venir à bout de l’UPA, l’URSS signera un pacte militaire avec la Pologne et la Tchécoslovaquie afin d’anéantir cette armée qui était retranchée dans les Carpathes. Avant d’envahir l’Ukraine, Vladimir Poutine, accusait Bandera d’être un nazi et qu’en aucun cas il livrerait la Crimée aux Banderovistes.

Durant la seconde guerre mondiale, l’Ukraine perdra 8 millions d’habitants, plus de 2 millions de soldats ukrainiens tomberont au champ d’honneur, environ 500 mille mourront en captivité dans d’atroces conditions.  Deux millions de jeunes gens et jeunes filles seront déportés pour servir d’esclaves à l’Allemagne nazie. En Ukraine, les Oradour sur Glane se dénombrent par dizaines, plus de 10 millions d’Ukrainiens étaient sans abri, le pays totalement dévasté. Le 24 août 1991 le Parlement ukrainien proclamait l’indépendance de l’Ukraine, le 1er décembre, cette proclamation sera entérinée par voie référendaire avec plus de 90% d’approbations. La région de Donetsk a approuvé cette proclamation avec 82% des voix, le plus faible pourcentage d’approbations a été obtenu en Crimée avec 54% des voix.

L’Ukraine s’était donc prononcée pour l’indépendance sans que les différences linguistiques, religieuses  ou autres influencent ce résultat.

Après 8 ans de guerre dans le Donbass, le 24 février 2022 les Russes envahissent l’Ukraine et se trouvent confrontés à une résistance acharnée et où les Ukrainiens s’expriment d’une seule et même voix pour affirmer leur volonté d’indépendance, de démocratie, de liberté et rejettent le modèle de société russe.

Certains politiques se sont érigés en connaisseurs du monde russe et ukrainien et insistaient lourdement sur des prétendues divisions du peuple ukrainien. Ils nous ont empoisonnés en affirmant que les russophones sont russes, que tout l’Est ukrainien est russe, qu’il y a un antagonisme entre russophones et ukrainophones, entre orthodoxes et catholiques. D’ici peu, ils trouveront d’autres motifs pour discréditer l’Ukraine et les Ukrainiens.

L’occupation de la Transnistrie, le nivellement au niveau du sol de Grozny, les destructions totales de Homs et d’Alep, les crimes de guerre, l’annexion dissimulée de 20% du territoire géorgien, l’irrésolution occidentale a conforté les ardeurs bellicistes et impérialistes de Vladimir Poutine. La scandaleuse annexion de la Crimée par la Russie, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU dont la mission principale est le maintien de la paix et de la sécurité internationale, n’a été sanctionnée que par quelques sanctions économiques. A cette violation du droit international, succédait la violation du mémorandum de Budapest, signé par les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, qui garantissait l’intégrité du territoire ukrainien en échange de remise à la Russie d’un très important arsenal nucléaire qui se trouvait sur le sol ukrainien et qui faisait de l’Ukraine la 3ième puissance nucléaire mondiale. Certains politiques contestaient le bien fondé des sanctions économiques prononcées à l’encontre de la Russie, d’autres doutaient du résultat de ces sanctions. Certains autres se rendaient en Crimée occupée bravant ainsi les décisions de l’ONU, les décisions européennes ainsi que la politique extérieure de la France. Aussitôt, Vladimir Poutine soutenait de prétendus séparatistes dans le Donbass arguant du fait qu’ils étaient russophones et donc victimes des néo-nazis de Kyiv. Aujourd’hui,  depuis un mois, jour pour jour, la guerre fait rage en Ukraine, des villes sont rasées, des objectifs civils bombardés, des civils sont tués par l’armée russe qui fait preuve de barbarie. On entend déjà des voix qui condamnent les va-t’en guerre qui veulent fournir de l’armement à l’Ukraine. Hormis Poutine, personne ne désire la guerre. Aujourd’hui, la question n’est pas de savoir ce que Poutine a dans la tête, mais de se donner les moyens de stopper son bellicisme. Poutine ne s’arrêtera que là où les Occidentaux et en particulier les Européens l’arrêteront.

La difficulté de s’entendre avec la Russie réside dans la confiance que l’on peut accorder à un état voyou, menteur, ennemi déclaré de la démocratie et en particulier de l’Europe.

En 1853, le grand historien français Michelet écrivait : « La Russie en sa nature, en sa vie propre, étant le mensonge même, sa politique extérieure et son arme contre l’Europe sont nécessairement le mensonge ! »

NB : les questions posées par l’assistance ont été aussi nombreuses que pertinentes.

Bohdan Bilot

Président de l’Union des Ukrainiens de France

L’OCCIDENT DOIT IMPOSER FERMEMENT LES PRINCIPES DE BASE DE LA CHARTE DES NATIONS UNIES AU NOM DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ MONDIALES

Le 21 juillet 2021, le président des États-Unis Joe Biden et la chancelière allemande Angela Merkel ont publié une Déclaration commune des États-Unis et de l’Allemagne sur le soutien à l’Ukraine, la sécurité énergétique européenne et nos objectifs climatiques qui soulignait les arrangements conclus entre les deux dirigeants pour que les États-Unis retirent leur opposition à l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2.

Le raisonnement à l’époque était que l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2 était inévitable, et que la levée des sanctions américaines qui bloquaient ce projet très controversé du Kremlin améliorerait non seulement considérablement les relations entre les États-Unis et l’Allemagne, mais ferait également fondre le climat glacial dans les relations entre les États-Unis et la Russie.

Ayant obtenu une concession aussi favorable de l’Occident pendant l’occupation par la Russie de la Crimée et de certaines parties de l’Ukraine orientale, ainsi que de certaines parties de la Géorgie, un observateur non initié (non familier avec la mentalité tordue du Kremlin qui considère ce type de concessions comme des signes de faiblesse mûrs pour de l’exploitation additionnelle) supposerait naturellement que le Kremlin ferait preuve d’un comportement exemplaire (pour un certain temps, au moins), sinon ferait même des concessions pro forma pour démontrer une certaine forme de réciprocité dans ses relations internationales avec l’Occident.

Cette tentative unilatérale de rapprochement de l’Occident rappelle de manière déconcertante les efforts de l’Occident pour apaiser un autre dictateur belligérant le 30 septembre 1938, lorsque le premier ministre britannique, Neville Chamberlain, est rentré chez lui après avoir signé l’Accord de Munich avec Hitler, et a déclaré de manière rassurante à son peuple :

« Je crois que c’est la paix pour notre temps. […] Maintenant, je vous recommande de rentrer chez vous et de dormir tranquillement dans vos lits. »

Onze mois plus tard, le 1er septembre 1939, le Royaume-Uni s’est réveillé aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale alors que les nazis pénétraient en Pologne et, deux jours plus tard, le 3 septembre 1939, ce même premier ministre britannique n’avait d’autre choix que de déclarer la guerre à l’Allemagne nazie.

Cette fois-ci, après la Déclaration commune de juillet des chefs d’État des États-Unis et de l’Allemagne, nous avons déjà été témoins du déroulement des événements alarmants suivants : (i) les prix du gaz ont monté en flèche à la suite des manipulations de la Russie pour créer une crise artificielle  en approvisionnement en gaz dans le but de faire pression sur l’Union européenne et l’Allemagne pour qu’elles donnent une approbation réglementaire rapide du gazoduc Nord Stream 2 (le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, a déclaré le 12 janvier 2022 que la Russie aggravait la crise du gaz en Europe en retenant au moins un tiers du gaz qu’elle pourrait acheminer vers l’Europe via les gazoducs existants); (ii) la Russie a stationné quelque 100 000 soldats en Crimée et près de la frontière orientale de l’Ukraine, menaçant l’Ukraine d’une plus grande invasion militaire russe (le 15 janvier 2022, le secrétaire de presse présidentiel de la Russie, Dmitri Peskov, a déclaré : « Nous n’allons pas dire que nous ne déploierons aucune arme offensive sur le territoire ukrainien »); (iіі) la Russie a orchestré avec la Biélorussie une crise migratoire aux frontières de la Biélorussie avec la Pologne, la Lituanie et la Lettonie pour déstabiliser l’Union européenne; et (iv) la Russie fait pression sur l’OTAN et les États-Unis pour revenir aux « sphères d’influence » de la guerre froide et propose des accords de « sécurité » de type Yalta (ces projets d’accords de « sécurité » prévoient le retrait des troupes et des armements de l’OTAN de 14 des 30 États membres de l’OTAN et l’élimination de la « politique de la porte ouverte » de l’OTAN, plus particulièrement à l’égard de l’Ukraine, avec l’intention manifeste de déstabiliser l’Occident, de discréditer, puis de démanteler l’OTAN et de rétablir une sphère d’influence russe sur le territoire des anciens pays du bloc de l’Est).

Par exemple, le projet d’Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord du 17 décembre 2021 propose, entre autres, que :

« Article 4

La Fédération de Russie et toutes les Parties qui étaient des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord au 27 mai 1997, respectivement, ne déploieront aucune force et aucun armement militaires sur le territoire des autres États d’Europe en plus des forces stationnées sur ce territoire au 27 mai 1997. Avec le consentement de toutes les Parties, de tels déploiements peuvent avoir lieu dans des cas exceptionnels pour éliminer une menace à la sécurité d’une ou de plusieurs Parties. […]

Article 6

Tous les États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord s’engagent à s’abstenir de tout nouvel élargissement de l’OTAN, y compris l’adhésion de l’Ukraine ainsi que d’autres États.

Article 7

Les Parties qui sont des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ne mèneront aucune activité militaire sur le territoire de l’Ukraine ainsi que d’autres États de l’Europe orientale, du Caucase du Sud et de l’Asie centrale. […] »

La Russie souhaite que l’OTAN et ses États membres abandonnent purement et simplement leur flanc oriental sur toile de fond d’un récit farfelu qui cherche à faire de la Russie une victime dont les frontières sont menacées sans cesse par l’élargissement de l’OTAN alors que : (i) les pays européens (qui étaient autrefois sous la sphère d’influence soviétique) ont demandé l’adhésion à l’OTAN pour se protéger contre une Russie menaçante; (ii) depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est la Russie qui a effrontément violé l’intégrité territoriale de pays indépendants, dont la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine; et (iii) c’est la dépendance de l’Europe envers les  approvisionnements en gaz contrôlés par la Russie qui constitue la principale menace pour la sécurité énergétique de l’Europe, comme le démontrent les prix actuels du gaz artificiellement gonflés.

En fait, Poutine a calculé que la Russie peut redevenir un empire en contrôlant l’Ukraine, en militarisant le gaz russe, en déstabilisant l’Occident, y compris l’OTAN, en semant la peur de « l’ours russe », et en invoquant un droit et un devoir autoproclamés d’être la protectrice des russophones du monde entier.

Pourquoi l’Ukraine est-elle au centre de l’attention de la Russie?

Dans son livre intitulé « Strategic Vision: America and the Crisis of Global Power », Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, ainsi que conseiller aux affaires étrangères de plusieurs autres présidents américains, a clairement répondu ainsi à cette question :

« On ne saurait trop insister sur le fait que sans l’Ukraine, La Russie cesse d’être un empire, mais avec l’Ukraine subornée puis subordonnée, La Russie devient automatiquement un empire. »

L’actuel tsar de la Russie l’a confirmé lorsqu’il a ouvertement déploré que l’éclatement de l’Union soviétique fut « la plus grande catastrophe du vingtième siècle » et s’est engagé à restaurer sa soi‑disant gloire passée. De plus, le 12 juillet 2021, Poutine a écrit un article intitulé « Sur l’unité historique desRusses et des Ukrainiens », où il est allé jusqu’à nier l’existence du peuple ukrainien dans son ensemble et a attaqué la légitimité de l’indépendance renouvelée de l’Ukraine en 1991 :

« Au cours de la récente ligne directe, lorsqu’on m’a interrogé sur les relations russo-ukrainiennes, j’ai dit que les Russes et les Ukrainiens formaient un seul peuple un tout. Ces propos n’étaient pas motivés par des considérations à court terme ou motivés par le contexte politique actuel. C’est ce que j’ai dit à de nombreuses reprises et ce que je crois fermement. […]

Le nom « Ukraine » était plus souvent utilisé au sens du vieux mot russe « okraina » (périphérie), que l’on retrouve dans des sources écrites du 12e siècle, faisant référence à divers territoires frontaliers. Et le mot « Ukrainien », à en juger par les documents d’archives, désignait à l’origine les gardes-frontières qui protégeaient les frontières extérieures. […]

En substance, les cercles dirigeants ukrainiens ont décidé de justifier l’indépendance de leur pays par le déni de son passé, sauf pour les questions frontalières. Ils ont commencé à mythifier et à réécrire l’histoire, à supprimer tout ce qui nous unissait et à se référer à la période où l’Ukraine faisait partie de l’Empire russe et de l’Union soviétique comme une occupation. La tragédie commune de la collectivisation et de la famine du début des années 1930 a été dépeinte comme le génocide du peuple ukrainien. […]Je suis convaincu que la véritable souveraineté de l’Ukraine n’est possible qu’en partenariat avec la Russie. Nos liens spirituels, humains et civilisationnels formés depuis des siècles et puisant leurs origines aux mêmes sources, ils se sont durcis par des épreuves, des réalisations et des victoires communes. Notre parenté s’est transmise de génération en génération. Elle est dans le cœur et la mémoire des personnes vivant dans la Russie et l’Ukraine modernes, dans les liens du sang qui unissent des millions de nos familles. Ensemble, nous avons toujours été et serons plusieurs fois plus forts et plus performants. Car nous sommes un seul peuple. »

Malgré cette approche impérialiste de la Russie et le désir constitutionnellement inscrit de l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN et à l’Union européenne, l’OTAN a essayé de garder une distance prudente avec l’Ukraine afin de ne pas provoquer la Russie. Au fil des événements, il est clair que la subtile politique d’apaisement de l’OTAN avec une Russie impérialiste n’a pas fonctionné.

En effet, en février 2014, la Russie a envahi la Crimée et, peu après, des parties de l’est de l’Ukraine. Depuis lors, la Russie a occupé ces territoires et a mené une guerre hybride impitoyable et vicieuse contre l’Ukraine dans le but évident d’en reprendre le contrôle total.

L’agression militaire de la Russie a déjà détruit avec un mépris total à la fois personnes et biens. Plus de 14 000 personnes ont été tuées et plus de 30 000 blessées dans les seules régions occupées de Donetsk et de Louhansk, et il y a plus de 1,5 million de personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine.

La caractérisation absurde suivante par Poutine de cette agression militaire de la Russie contre l’Ukraine dans son article du 12 juillet 2021 et les violations flagrantes par la Russie des accords de Minsk indiquent pourquoi les ambitions impérialistes de Poutine menacent la sécurité mondiale et on ne peut pas lui faire confiance lorsqu’il offre un cadeau empoisonné :

« Le coup d’État et les actions ultérieures des autorités de Kiev ont inévitablement provoqué l’affrontement et la guerre civile. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme estime que le nombre total de victimes du conflit dans le Donbass a dépassé les 13 000. Parmi eux se trouvent des personnes âgées et des enfants. Ce sont des pertes terribles et irréparables.

La Russie a tout fait pour arrêter le fratricide. Les accords de Minsk visant à un règlement pacifique du conflit dans le Donbass ont été conclus. Je suis convaincu qu’ils n’ont toujours pas d’alternative. En tout cas, personne n’a retiré sa signature du paquet de mesures de Minsk ou des déclarations pertinentes des dirigeants des pays du format Normandie. Personne n’a entrepris une révision de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies du 17 février 2015. »

Si l’Occident souhaite surmonter la menace impérialiste de la Russie, les dirigeants occidentaux auront besoin de prévoyance et de courage pour prendre des mesures décisives, notamment pour : (i) appliquer un plan d’action axé sur la paix, la sécurité et la stabilité mondiales, le respect de l’intégrité territoriale de tous les pays et la promotion des principes démocratiques inscrits dans la Charte des Nations Unies; (ii) fournir à l’Ukraine le soutien militaire de l’OTAN et le plan d’action pour l’adhésion à l’OTAN (puisque l’Ukraine défend non seulement son intégrité territoriale, mais confine également les ambitions impérialistes mondiales de la Russie); (iii) veiller à ce que la Russie ne puisse pas contourner l’Ukraine dans l’approvisionnement en gaz de l’Europe en fixant des engagements stricts en matière d’approvisionnement en gaz via le réseau de gazoducs et les stockages souterrains de gaz de l’Ukraine (ce qui améliorera la sécurité énergétique de l’Europe, car la Russie a clairement démontré qu’elle n’est pas un fournisseur de gaz fiable pour l’Europe); (iv) augmenter les sanctions contre la Russie et l’entourage de Poutine, bannir la Russie du réseau de paiement SWIFT et suspendre le processus de certification de Nord Stream 2 jusqu’à ce que la Russie cesse son occupation de l’Ukraine et désamorce les tensions à la frontière ukrainienne (car les sanctions fonctionnent, et ce, malgré le fait que la Russie minimise leur importance, comme l’a clairement démontré l’avertissement de Poutine selon lequel de nouvelles sanctions américaines en réponse à une plus grande invasion de l’Ukraine pourraient rompre les liens entre les États‑Unis et la Russie); et (v) contrer efficacement la machine de désinformation puissante et destructrice de la Russie en diffusant des informations véridiques et les valeurs fondées sur la Charte des Nations Unies à la fois en Occident et en Russie.

Contrer les plans impérialistes de Poutine ne sera pas facile. La Russie est convaincue que l’Occident adoptera finalement l’approche de Chamberlain dans ses relations avec la Russie et continuera donc à pousser l’OTAN au bord du conflit pour maximiser les concessions. L’Occident ne doit pas être dupe de telles tactiques. Au lieu de cela, l’Occident devrait s’inspirer de ses efforts significatifs dans le passé contre l’adversité du même ennemi historique, y compris l’extorsion par l’Union soviétique que constituait le blocus de Berlin et que l’Occident a contré efficacement avec le pont aérien de Berlin.

Comme tous les dictateurs, Poutine ne comprend et ne réagit qu’au langage de la force. Les concessions antérieures à la Russie n’ont fait que produire une Russie plus belliqueuse. L’Occident devrait donc adopter une stratégie éprouvée et efficace tirée de Muhammad Ali pour venir à bout de l’agression hybride de la Russie contre l’Occident, à savoir : « Flotter comme un papillon, piquer comme une abeille ».

Ce n’est qu’en reconnaissant les ambitions impérialistes de Poutine pour ce qu’elles sont et en prenant des mesures décisives pour faire respecter les principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies que l’OTAN et ses États membres pourront éviter une crise plus grave et assurer la paix, la sécurité et la stabilité mondiales.

Eugène Czolij

Président de l’ONG Ukraine-2050 / Président du Congrès Mondial Ukrainien (2008-2018)

L’Organisation non gouvernementale (ONG) « Ukraine-2050 » est une organisation sans but lucratif établie pour aider à mettre en œuvre dans une génération – d’ici 2050 – des stratégies pour le développement durable de l’Ukraine en tant qu’État européen pleinement indépendant, territorialement intégral, démocratique, réformé et économiquement compétitif.

www.ukraine-2050.org