Le procureur de la République requiert la relaxe pour Cécile Vaissié et son éditeur suite au procès en diffamation pour le livre « Les réseaux du Kremlin »

Les 14 et 15 mars 2019, devant la 17ème Chambre correctionnelle du Palais de Justice de Paris s’est tenu le procès en diffamation de Cécile Vaissié, universitaire spécialiste de la Russie soviétique et post-soviétique reconnue par ses pairs. Elle est l’auteure du livre Les réseaux du Kremlin en France.

Plusieurs plaintes pour diffamation avaient été déposées contre madame Vessié et son éditrice Marie-Edith Alouf (éditions Les Petits Matins) suite à la parution de l’ouvrage. Le livre, Les réseaux du Kremlin en France, dresse une cartographie de différents groupes reprenant pour diverses raisons les narratifs officiels de Moscou.

Lors de la première audience, Cécila Vaissé a souligné qu’elle n’avait eu aucune envie d’écrire un tel ouvrage et de risquer des poursuites, comme ses collègues ayant écrit sur des sujets similaires avant elle. Par la suite, la professeure raconte avoir senti un tournant au moment de la guerre en Ukraine, quand elle a vu se multiplier les courriels et les pages internet justifiant l’intervention russe. En tant qu’historienne, elle avait déjà noté des similitudes entre les méthodes d’influence soviétique et poutiniste, et décida d’étudier cela plus en profondeur.

« En France, les représentants du Kremlin développent activement leurs relations avec des descendants de la diaspora russe, des politiciens français de divers bords, des journalistes, des hommes d’affaires et tous ceux que fascine, pour différentes raisons, la personnalité de Vladimir Poutine. Dès lors, une grave question se pose : cette politique intrusive représente-t-elle un danger pour la sécurité nationale française et l’intégrité européenne ? En mettant au jour la formidable machine mise en place par les idéologues du Kremlin, cette enquête de fond amène à croiser d’ex-officiers du KGB, des milliardaires orthodoxes, des princes nostalgiques d’une grandeur perdue, des agents d’influence, de nombreux « idiots utiles » et beaucoup, beaucoup d’argent… », – peut-on lire.

« Cela ne va pas plaire à tout le monde, c’est sûr, – avait écrit Cécile Vaissié en mars 2016 sur des réseaux sociaux, – mais certaines choses doivent être mises noir sur blanc. Parce que les mensonges, les entourloupes, la propagande et les manipulations prennent des proportions démesurées, tentent de dissimuler violences et abus et sont dangereux pour tout le monde ».

Immédiatement, les détracteurs de Cécile Vaissié, pour qui le fait de critiquer le pouvoir du Kremlin semble équivalent à détester la Russie toute entière, ont crié au scandale en accusant l’écrivaine de russophobie, ce à quoi est réduite toute critique du pouvoir russe en place.

Six personnes ont alors intenté une procédure en justice, considérant être diffamées par les écrits de l’universitaire. Parmi les plaignants figurent Guéorgui Chépélev, dirigeant du « Conseil de coordination des compatriotes », l’ex-secrétaire national du Parti de gauche en charge des questions internationales et de défense, Djordje Kuzmanovic, son épouse Véra Nikolski, haut fonctionnaire, ainsi que les blogueurs Olivier Berruyer, Hélène Richard-Favre et Pierre Lamblé.

Il est intéressant de noter que les plaintes contre Cécile Vaissié et son éditrice ont été déposées en même temps, pratiquement à la date butoir, trois mois après la publication du livre. Un autre fait – et non des moindres – tous les plaignants (à part Chépélev) se sont adressés au même avocat, ce qui, de l’avis de la défense de Cécile Vaissié, « prouve qu’il s’agit d’une affaire conjointe ». L’avocat en question, Jérémie Assous, est également connu comme conseil de la chaîne télé russe en France Russia Today, entièrement financée par le gouvernement russe. « Le Kremlin a engagé ses réseaux en France pour prouver au tribunal qu’il n’y a pas de réseaux de Kremlin en France », – a remarqué la journaliste russe Anastasia Kirilenko.

Qualifiée par plusieurs médias comme « procédure bâillon », le procès tournait bien plus autour de la question ukrainienne que le fond du dossier. Le journaliste français à « La Croix », Alain Guillemoles, note : « Une bonne partie des débats a en effet tourné autour de la question de savoir si cette révolution a « mis des nazis au pouvoir », ou bien si cette interprétation des faits est « le fruit d’un travail de propagande du Kremlin ».

L’avocat des plaignants a bataillé de façon insistante, revenant sans cesse à la charge, pour imposer cette première interprétation. Il a affirmé par exemple que « des néo-nazis se sont emparés des principales commissions du parlement ukrainien. Au point qu’on se dit que tel était son but : obtenir un jugement qui permettrait de valider cette interprétation historique ».

Après deux jours de débats intenses et des théâtrales plaidoiries de Me Assous, des cameras de Russia Today et des yeux d’un groupe de soutien des plaignants munis tous équipés de documents distribués, le Procureur de la République a annoncé qu’il ne voyait pas de diffamation et a demandé la relaxe pour les deux prévenues.

La décision de justice sera rendue le 31 mai 2019.