La fondation de l’Église Russe comparée à celle de l’Église d’Ukraine, par le métropolite Michel

L’autocéphalie de Moscou, avec son érection comme siège patriarcal, fut obtenue par la force. Une première rupture fut l’auto-proclamation unilatérale de l’autocéphalie et la désignation en 1448 de son nouveau métropolite Jonas sans le consentement de Constantinople. Cette situation non canonique se poursuivit jusqu’en 1558.

Le tsar Fedor Ivanovitch et l’homme fort de la principauté, le régent Boris Godounov, convoquent à Moscou en 1588 le patriarche Jérémie II de Constantinople, affaibli politiquement par la domination ottomane. On commença par restreindre sa liberté en l’empêchant de retourner à Constantinople. Une « tradition » existait alors à Moscou (usage que de nombreux chroniqueurs ont consigné dans leurs récits) : emprisonner les visiteurs étrangers, certes bien accueillis, mais qui n’avaient plus jamais le droit, sous peine de mort, ni de simplement réclamer leur retour dans leur patrie, ni de communiquer avec les non russes de la capitale. Dans ces conditions, on proposa au patriarche de transférer son siège à Wladimir, en arguant qu’en restant à Constantinople, il était sous le joug des Turcs. Devant son refus courageux étant donné les circonstances, on lui proposa plus directement de devenir le patriarche des Russ’ avec comme siège Moscou. Et enfin (nous passons toutes circonvolutions des détails de cette histoire), on fit accepter au patriarche, qui se voyait terminer ses jours sans doute de manière violente à Moscou en cas de refus, d’ériger Moscou en siège patriarcal concomitant avec la déclaration d’autocéphalie ainsi que de procéder à l’intronisation du candidat désigné par le tsar et Godounov après un simulacre d’élection. Le patriarche de Constantinople n’avait jamais pu rencontrer le candidat au préalable !

On procéda donc, le 26 janvier du calendrier julien 1589, non pas à une intronisation, mais à une sorte de re-consécration épiscopale qui s’écartait du typikon orthodoxe traditionnel, en lui imposant l’Évangile avec la prière de la chirotonie épiscopale : «  La grâce divine désigne le très pieux archevêque Job pour devenir patriarche de Moscou et de toute la Russ’ ». Mais Jérémie ne pouvait rien dire, car il était entre les mains du puissant régent. Il consacra patriarche le favori de ce dernier. Cette mise devant le fait accompli ne le choquait d’ailleurs pas particulièrement, l’usage d’un prince désignant à l’élection du siège primatial un candidat désigné étant répandu dans toutes les monarchies. Cette pratique était en outre celle l’Empire Byzantin du temps de sa splendeur.

Et c’est ici que se place la confirmation pour la nouvelle Église de faire elle-même son Saint Myron. Le patriarche retint l’argumentation suivante : puisque ce droit avait été accordé au Siège de Kiev depuis au moins le XIVe siècle (la date précise n’est pas connue), il était transmis depuis Kiev (qui cependant conservait ce droit) au nouveau Siège de Moscou ! Ainsi, en droit canonique comme en charisme, faire son Saint Myron ne provenait pas d’un droit accordé ce jour-là par le patriarche de Constantinople au Patriarcat de Moscou, mais de la reconnaissance que ce droit ancien provenait du siège de Kiev. Même dans le Saint Myron, la position de la Métropole de Kiev comme Église Mère de Moscou et de toute les Église Russ’ était confirmée. La production du Saint Myron par le siège de Kiev est attachée à sa soumission canonique au patriarcat de Constantinople. Elle constitue la preuve charismatique que le siège de Kiev, en conservant sa capacité de produire lui-même son saint Myron, ne pouvait dépendre de Moscou, ce privilège lui venant directement du patriarcat de Constantinople.

Texte publié le 14 octobre 2018 par Son Éminence Michel (Laroche), évêque de la diaspora ukrainienne et métropolite de Paris et de toute la France.

Réponse de l’Élysée concernant Roman Souchtchenko

L’Union des Ukrainiens de France, dans un courrier adressé au Président de la République française, Emmanuel Macron, attirait son attention sur le sort réservé au journaliste ukrainien Roman Souchtchenko. Celui-ci est détenu illégalement en Russie après avoir a été abusivement condamné à 12 ans de réclusion. Roman Souchtchenko était correspondant à Paris de l’agence de presse Ukrinform.

L’Union des Ukrainiens de France demandait sa libération immédiate ainsi que celle de 70 autres prisonniers politiques ukrainiens tout aussi illégalement détenus en Russie et en Crimée occupée. Le 4 octobre 2018, l’Élysée accuse réception de notre courrier et nous assure que le Président, Emmanuel Macron, a bien pris connaissance de l’inquiétude que nous éprouvons à l’égard de ces détentions.

Nous espérons que le Président de la République Française saura user de toute son influence auprès de la Russie pour contribuer à la libération de tous les prisonniers ukrainiens illégalement détenus tant en Russie qu’en Crimée occupée.

Blog Libération « Comité Ukraine » : La Hongrie souffle sur les braises en Ukraine de l’ouest

L’Union des Ukrainiens de France attire attention sur la politique expansionniste de la Hongrie vis-à-vis de l’Ukraine. Le gouvernement de Victor Orban, réputé eurosceptique et très proche du Kremlin, multiplie des gestes hostiles aussi bien dans sa politique intérieure que dans les relations internationales. Le 12 septembre, le Parlement européen a voté pour entamer une procédure de sanction contre la Hongrie en réponse aux violations des valeurs et des standards européens. Bien que le Parlement ne compte pas sanctionner la Hongrie pour ses ambitions expansionnistes quant à l’Ukraine, mais surtout pour ses entraves à l’indépendance de la justice et médias ou suite à des menaces sur des personnes qui tenteraient de venir en aide aux migrants, la politique du gouvernement d’Orban reste pour le moins inquiétante. Pour mieux comprendre le sujet, l’Union des Ukrainiens de France propose un billet publié le 9 octobre 2018 sur le blog « Comité Ukraine » de « Libération » :

« La Hongrie souffle sur les braises en Ukraine de l’ouest »

Que cherche le président hongrois Viktor Orban en Transcarpatie ? Son gouvernement n’a de cesse de déstabiliser cette région frontalière de l’ouest de l’Ukraine.

C’est l’incident de trop. Il s’est produit dans la ville ukrainienne de Berehove, à l’ouest de l’Ukraine. Le consul hongrois de cette ville a été filmé en caméra cachée en train de délivrer des passeports hongrois aux habitants, malgré le fait que la double nationalité est interdite en Ukraine. La vidéo a été ensuite diffusée le 19 septembre dernier sur le site de l’agence de presse nationale Ukrinform.

La scène se déroule visiblement à l’intérieur du consulat local de Hongrie. Elle montre des diplomates hongrois donnant pour consigne aux Ukrainiens de dissimuler aux autorités ukrainiennes l’obtention de la nationalité hongroise.

Dans cette même vidéo, nous pouvons entendre les Ukrainiens qui venaient de recevoir leur passeport hongrois flambant neuf, prêter le serment d’allégeance à un état étranger : « Je jure de considérer la Hongrie comme ma Patrie, d’être un citoyen loyal, de défendre et de servir la Hongrie ».

L’Ukraine se trouvait « obligée de réagir », comme l’a dit le ministre ukrainien des affaires étrangères Pavlo Klimkin. Elle a annoncé le 4 octobre l’expulsion du consul hongrois en raison d’« activités non-compatibles avec son statut » diplomatique. Budapest a aussitôt répondu en annonçant l’expulsion d’un consul ukrainien en Hongrie. Et voilà donc une nouvelle crise qui commence entre l’Ukraine et la Hongrie. Ce n’est pas la première.

Peu de temps auparavant, la Hongrie avait déjà provoqué l’inquiétude de l’Ukraine en décidant de nommer un ministre « chargé du développement de la région de la Transcarpatie ». Après de vives protestations de Kiev, qui considérait ce geste comme une atteinte à sa souveraineté, le ministre des affaires étrangères de la Hongrie avait décidé de changer l’intitulé du poste de son subordonné.

Une première crise entre l’Ukraine et la Hongrie s’était déjà produite au printemps 2014 lorsque s’exprimant devant le Parlement, Victor Orban avait exigé la double nationalité et l’autonomie pour les Hongrois de la région de la Transcarpatie.

Budapest ne cesse de prendre des initiatives pour défendre les droits de la minorité hongroise en Ukraine. L’Ukraine, de son côté, redoute cet activisme. Elle y voit une réplique de celui que la Russie déploie, sur d’autres fronts, pour défendre la minorité russe qui serait, à en croire Moscou, menacée en Ukraine. En Crimée, la Russie avait entrepris depuis plusieurs années, avant même l’annexion, de distribuer des passeports russes…

Kiev soupçonne le gouvernement nationaliste de Viktor Orban d’avoir distribué ces dernières années près de 100 000 passeports hongrois à la minorité hongroise de Transcarpatie. Et pour faire pression sur l’Ukraine, la Hongrie menace d’agir au sein de l’Union européenne pour entraver la coopération avec Kiev.

L’Ukraine, son nom et sa signification, selon le professeur Wolodymyr Kosyk

 

Une carte de l’Ukraine réalisée par un géographe français au XVIIIème siècle

Thucydide, (460 à 400 avant JC), homme politique et historien grec surnommé le « Père de l’Histoire scientifique », recherchait la vérité et écartait scrupuleusement tout ce qui était de l’ordre du mythique ou de la rumeur.

De nos jours, Thucydide, à l’évocation de « l’histoire » de l’Ukraine façonnée par l’historiographie russe tsariste ou communiste, doit se retourner dans sa tombe.

Il est particulièrement aberrant de lire, dans certains ouvrages, que le mot Ukraine, « Oukraina » en russe, signifie « frontière ». Frontière avec qui ? Donner la signification d’un pays voisin dans une langue étrangère est particulièrement incongru et, dans le cas présent, reflète une volonté délibérée de « main mise » sur ce pays et s’en attribuer le passé historique. Ce qui est certain est que Moscou manipule, falsifie, désinforme tout ce qui est relatif à l’Ukraine et à son histoire !

Bohdan Bilot, Président de l’UUF

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L’Ukraine, son nom et sa signification, selon le professeur Wolodymyr Kosyk*

Polanes, Antes et Rous’

Dans la Chronique des temps passés attribuée au moine Nestor, il est écrit que le prince Kyï (lire Kéï) était le fondateur de la ville de Kyiv (Kiev). En tenant compte du contexte international des Vème et VIème siècles, les historiens en déduisent que Kyï était très vraisemblablement une figure historique réelle du VIème siècle et qu’il était le chef (ou prince) de l’union des tribus polanes. Ce prince fit plusieurs campagnes contre Byzance, négocia en 530 avec l’empereur Justinien 1er, lui proposant de protéger les frontières septentrionales de l’empire byzantin contre l’expansion des Slaves. Mais, après l’échec des pourparlers, Kyï abandonna les territoires danubiens et se replia en terre polane dans la ville qui porte son nom(1) encore aujourd’hui.

L’historien ukrainien Mykhaïlo Y. Braïtchevskyi, se référant aux textes des historiens byzantins du VIème siècle, souligne que : «  … les écrivains byzantins appelaient les Polanes du nom d’Antes, et ces Polanes sont directement liés à la Rous’. Leur rôle dans la formation de la Rous’ fut déterminant » (2).

La Rous’ était donc, originellement, le pays des Polanes. D’ailleurs la Chronique des temps passés mentionne que, parmi les tribus slaves orientales, la plus importante était celle des « Polanes que l’on nomme aujourd’hui Rous’ » (3).

Mr Braïtchevskyi en conclut que : « La Rous’, ce phénomène historique nouveau, remplaça l’Union polane (ante) lorsque celle-ci éclata. Il s’est créé sur les ruines de celle-ci une nouvelle Union polane dans de nouvelles limites territoriales », toujours dans la vaste région de Kyiv, capitale de l’actuelle Ukraine (4).

Il existe des indications concrètes selon lesquelles les termes de Rous’, Rhos, Ros, synonymes donnés au Pays de Kyiv ou plus précisément au Pays des Polanes, étaient largement connus au IXème siècle (5). Ils devaient l’être dès le VIème siècle (6). Mr Braïtchevskyi estime, lui, que la nouvelle union étatique appelée Rous’ apparut au VIIème siècle (7).

Dans un autre écrit d’époque, il est mentionné qu’une attaque des Rous’ eut lieu, en 813, contre l’île d’Egine en mer Egée et, qu’en 883, une ambassade du Prince des Ros (Rous’) arriva à Constantinople mais, vu la situation dangereuse qui régnait sur les côtes de la mer Noire, l’empereur byzantin leur enjoignit de rentrer en Rous’ en passant par l’Europe occidentale (8).

Les termes « Rouss’ » et « Ukraine »

En 988, le prince de Kyiv (Kiev) Volodymyr (Vladimir) le Grand, après avoir fait baptiser ses fils, les membres de son conseil, les nobles (boïars), fit du christianisme la religion officielle de son Etat (9).

Mais quel était au juste cet Etat ?

Nous avons déjà vu que, selon la Chronique, « les Polanes, que l’on nomme aujourd’hui Rous’ » (10) vivaient sur le Dnipro (Dniepr) moyen, autour de Kyiv. La chronique évoque une dernière fois ces Polanes en 944 (11), c’est-à-dire peu avant l’adoption du christianisme. Après 944, l’appellation tribale disparaît complètement au profit du nom étatique de Rous’.

Le terme « Terre rous’ » (Rous’ka zemla) est employé pour la première fois en 852. A partir de 912, les deux termes : « Rous’ » et « Terre rous’ » sont utilisés couramment mais, parfois, dans un sens différent : « Rous »’ désignant la métropole tandis que « Terre rous’ » s’appliquant plutôt aux possessions.

L’analyse détaillée des textes de la Chronique montre qu’à cette époque et jusqu’aux XII-XIIIè siècles (selon nous plus exactement jusqu’aux XIIIè-XIVè siècles), le nom de « Rous’ » désignait exclusivement le Pays de Kyiv (la ville et sa région), c’est-à-dire le territoire des Polanes et des autres tribus autour de Kyiv. Puis, comme le constate Mr Braïtchevskyi, la Rous’ engloba « la région du Dniepr moyen avec Kyiv, Tchernihiv (Tchernigov), Pereïaslav et les territoires leur appartenant » (12).

Ceci est confirmé par plusieurs historiens russes. P.N. Tretiakov écrit : « Un Etat est-européen commença à se former ici, longtemps (un à deux siècles) avant l’apparition des Riurikides (13) à Kiev. Il est apparu dans cette partie du Dniepr moyen qui s’appelait Rous’. Longtemps encore, jusqu’aux XIIè-XIIIè siècles, cette région seule a porté le nom de « Rous’ » ou « Terre rous » (14). « La Rous’ n’était que le Pays de Kiev où vivaient les Polanes que l’on nomme maintenant Rous’ » (15).

Son confrère M.N.Tikhomirov écrit également : « Le nom de « Rous’ » est l’antique nom du Pays de Kiev, Pays des Polanes » (16).

De même, M.D. Priselkov et A.N. Nassonov écrivent que le Pays de Rous’ « est une région située aux alentours des trois villes : Kiev, Tchnihiv et Pereïaslav rous’kyï » (17).

Pour résumer, citons encore P.N. Tretiakov : « De nombreux témoignages dans les chroniques prouvent que, jusqu’à cette époque (XIIè-XIIIè siècles) ni les terres de Novgorod, ni celles de Smolensk, ni celles de Rostov et Souzdal, ni celles de Galicie-Volhynie n’étaient appelées Rous’ »(18).

En d’autres termes à l’époque du baptême de Kyiv, et même après, seule la partie centrale de l’actuelle Ukraine portait le nom de Rous’.Les autres territoires de l’Empire n’étaient que des possessions de Kyiv, tout comme la Gaule n’était qu’une possession de Rome, un territoire dans l’Empire romain.

Pour ce qui est des limites territoriales, des historiens situent la Rous’ entre les villes actuelles de Novhorod-Siverskyi au nord (qu’il ne faut pas confondre avec la ville de Novgorod, au nord du lac Ilmen et au sud de Saint-Petersbourg, dans la région baltique), Kremianets à l’ouest (à l’ouest du Horyn, dans l’actuelle région de Ternopil, en Galicie) et Krementchouk sur le Dnipro (Dniepr) au sud (19).

A cette époque, il n’y avait aucune autre Rous’. Et c’est précisément cet Etat-métropole, la Rous’, qui changea son nom en celui d’Ukraine.

Le nom « d’Ukraine »

Le nom « Ukraine » apparaît pour la première fois en 1187 dans la Chronique d’Ipatiev. Depuis cette date, il est utilisé pour désigner plusieurs régions de l’actuelle Ukraine. Utilisé pour un territoire qui n’appartenait ni à la Russie, ni à la Pologne, ce nom ne voulait nullement dire « confins » de ces Etats ! Il prit la signification de « pays », « notre pays ».

Dès les XIVè-XVIè siècles, et plus particulièrement au cours des XVIè-XVIIè siècles, les termes « Ukraine » et « peuple ukrainien » s’emploient parallèlement au terme « Rous’ », puis s’étendent peu à peu vers les territoires de Galicie et de Volynie (20).

C’est la raison pour laquelle les historiens ukrainiens considèrent tout naturellement que Kyiv était la capitale de l’Ukraine médiévale et qu’en 988, c’est l’Ukraine et non la Russie qui a adopté le christianisme. Ils considèrent également que l’histoire de la Rous’ est celle de l’Ukraine et non pas de la Russie.

Notons qu’à l’époque, l’Etat des princes de Kyiv ne portait pas le nom de « Rous’ de Kiev », comme on a pris l’habitude de le dire, mais s’appelait tout simplement « Rous’ ». Les termes « Rous’ de Kiev » et « Russie de Kiev » ont été inventés et imposés plus tard par des historiens russes, surtout à partir du XIXè siècle. En effet, s’il avait jadis existé une « Russie de Kiev », ce territoire devrait faire partie de la Russie tsariste et par conséquent de la Russie soviétique ou de la Russie actuelle.

Rous’ – Ruthénie

Le monde extérieur donnait à l’Etat Rous’ différents noms, plus ou moins invraisemblables et parfois même ridicules.

Dans un texte daté de 959, la princesse Olha (Olga) était appelée en latin Regina Rugorum. D’autres chroniques allemandes et particulièrement celle de Thietmar de Mersebourg, évoquent l’ambassade des Rusciae gentis (des gens roussénes).

A propos du mariage de la fille de Iaroslav le Sage avec le roi de France Henri 1er (19 mai 1051), les sources occidentales contemporaines et ultérieures nomment le prince de Kyiv : Rex Ruthenorum (le roi des Ruthènes), mais aussi Rex Rugorum, Rex Rusicorum, Rex Ruticorum, Rex Rusulordum, Rex Sclavorum, Rex Rabastiac, tec ? (21)

Ajoutons que les Annales Augustines appellent, en 1104, la princesse kiévienne Eupdraxie, malheureuse épouse de l’empereur Henri IV, Rutenorum Regis filia (la fille du roi de Ruthénie) (22).

Un auteur du milieu du XIIè siècle, mentionnant l’une des filles du prince de Kyiv, utilise les termes de Rutenorum seu Chyos Regis filia (la fille du roi de Ruthenie ou de Kyiv) (23).

Ces dénominations n’avaient absolument rien à voir avec la Russie qui se formera plusieurs siècles plus tard. Par contre, le terme de Ruthène est parfaitement acceptable et l’on peut donc affirmer qu’Anne de Kyiv était une Ruthène.

En effet, la Chronique des temps passés mentionne souvent la dénomination ethnique : « Rousséne » ou « Roussyn » (en polonais « Rusin »), notamment dans les traités de 911 et 944 avec Byzance. Plus tard, lorsqu’elle parle du premier métropolite de Kyiv, nommé en 1051, qui n’était pas grec, elle dit « Ilarion, roussène »(24) (le Ruthène Ilarion). Son appartenance ethno-étatique est donc ici bien soulignée. C’est cette même désignation ethnique de « Rousséne », traduite en latin par « Ruthène », qui était utilisée en Rous’, donc en Ukraine qui s’est maintenue jusqu’en 1939 et, tout particulièrement, en Ukraine occidentale***.

En résumé, la Rous’, c’est-à-dire l’Ukraine médiévale, était appelée en latin Ruthenia. C’est pourquoi certains historiens ukrainiens contemporains traduisent avec raison le terme de Rous’ par celui de Ruthénie (25). Cependant, ils le font très timidement car les Russes n’apprécient pas cette traduction et font pression pour que l’on traduise en français ou en anglais « Rous’ » par « Russie » (26). Cette habitude persiste dans les milieux intellectuels français et ouest-européens en général et se retrouve aussi, malheureusement, dans les manuels scolaires.

Moscovie – Rossia – Russie

La Russie n’est donc pas née à Kyiv : le berceau du peuple russe et de l’Etat russe, comme le soulignent certains historiens russes, « était la région de Rostov-Souzdal, sur la base de laquelle s’est formée plus tard l’État russe … ». C’est dans cette région devenue indépendante de Kyiv (donc de la Rous’) en 1132-1135, que s’est formée la Principauté de Moscovie (la ville de Moscou elle-même a été fondée en 1147), ouvrant une étape décisive dans la formation de la future Russie.

Ainsi la Moscovie-Russie naquit et se développa en dehors de la Rous’.

Soulignons par ailleurs que l’adjectif « rous’kéï », dérivé de Rous’, qui fut utilisé dans la chronique de l’époque, n’avait rien à voir avec l’adjectif « russe », dérivé du terme « Rossia » (nom de la Russie actuelle). Le nom « Rossia » n’est apparu que vers la fin du XVème siècle, d’abord comme un terme purement livresque, l’Etat portant toujours le nom de Grande Principauté de Moscou ou de Moscovie. Le nom Rossia est devenu officiel à partir du règne de Pierre 1er.

En conclusion, les termes Rous’ et Russie se rapportent à deux États différents, deux réalités historiques différentes, deux époques différentes et deux peuples différents.

Wolodymyr Kosyk**

Notes :

  1. Voir N.F. Kotliar, S.V. Koulchytskyi, Kiev ancienne et moderne, Kiev, Politizdat de l’Ukraine, 1982, pp.15-21

  2. M.Yu.Braïtchevski, Les origines de la Rous’, Kiev, 1968, p.163

  3. Œuvres complètes des annales russes, (PCRL), Moscou, 1962, vol.1, p.25, vol.2, p.18

  4. M.Yu.Braïtchevski, Les origines de la Rous’, op. cit., Kiev, 1968, p.163

  5. P.N.Trétiakov, Aux origines du peuple vieux russe, Leningrad, 1070, p.14

  6. I.M.Chékera, Les relations internationales de la Rous’ de Kiev, Rome, 1997, Annales Bertiani Hannover, 1883, pp.19-20

  7. M.Yu. Braïtchevski, Les origines de la Rous’, op. cit., p.16

  8. I.M.Chékera, Les relations internationales de la Rous ‘, op. cit., p.25

  9. Ibidem, p.17, p.35

  10. M.Yu.Braïtchevski, Les origines de la Rous’, op. cit., p.162

  11. P.N. Trétiakov, Aux origines du peuple vieux russe, Leningrad, 1970, p.73

  12. Ibidem, pp. 73-74

  13. M.N. Tikhomirov, L’origine des termes Rous’ et Terre rous’, dans « Ethnographie soviétique », vol.6-7, 1947, pp. 60-80 ; P.N. Trétiakov, op. cit.

  14. Cité par P.N. Trétiakov, p. 74

  15. Ibidem, p. 73

  16. Ibidem, p. 76

  17. Voir M.I.Martchenko, Histoire de la culture ukrainienne, Kiïv, 1961, p.69

  18. R.I. Ivanessov, Problèmes de l’histoire de la langue russe, in « Problèmes de la formatio du peuple et de la nation russes », Moscou-Leningrad, 1958, p.176

  19. Continuator Reginanis – MGH SS, vol. 1, p.624 ; Kronika Thitmara, Poznan, 1953 ; Roger Hallu, Anne de Kiev, Reine de France, Rome, 1973, pp. 43-44

  20. op. cit, vol. 1, pp. 34-36, p. 50, p. 52

  21. L.V. Tchérepnine, Les conditions historiques de la formation du peuple russe avant la fin du XVè siècle, op. cit., p. 88

  22. MGH, SS, vol. III, p. 133 ; vol. VI, p.207

  23. MGH, SS, vol. XX, p. 259 ; Otto, Bischof von Freising, Chronik oder die Geschichte der zwei Staaten, Berlin, 1960, S. 536

  24. Cf. Elie Borschak, La légende historique de l’Ukraine, Istorija Rusov, Paris, 1949

  25. Voici quelques exemples de traduction erronée, imposés par les Russes, de textes ukrainiens ou russes. Dans le livre de M. Kotlar et S. Koultchytskyi (édition française : Kiev, 1983) cité au début, non seulement les nom des auteurs ont été transcrits à la manière russe, mais le terme ukrainien Rous’ a été partout traduit par Russie. De même dans la traduction française du livre de B.A. Rybakov (Moscou, 1964) intitulé Les débuts de la Russie (édition française : Moscou, 1966), le terme Rous’ est toujours traduit par Russie et toute l’histoire de la Rous’ est présentée comme les débuts de l’histoire de la Russie. Même chose dans le roman Eupraxie de P.Zagrebelny où les termes Rous’ et Roussène sont traduits par Russie et Russe (édition française, 1984)

  26. L.V. Tchérepnine, Les conditions historiques de la formation du peuple russe avant la fin du XVè siècle, op. cit., p.88. Il est à noter toutefois que les adjectifs rous’ et rouskéï pouvaient parfois être utilisés dans le sens d’appartenance à la confession orthodoxe byzantine dont le métropolite avait son siège à Kiev jusqu’en 1299, avant de s’installer à Vladimir puis, à Moscou, en 1325.

*Extrait de « GOODBYE POUTINE », Ouvrage collectif sous la direction d’Hélène Blanc – GINKGO éditeur, 2015, avec l’aimable autorisation des auteurs.

**Wolodymyr Kosyk était français d’origine ukrainienne, professeur d’Histoire à la Sorbonne

***Dans les territoires d’Autriche-Hongrie peuplés d’Ukrainiens, ceux-ci étaient appelés « Roussens » par l’administration impériale

Lyon, le 24 novembre à 15 heures : commémoration du génocide ukrainien

La communauté ukrainienne de Lyon et le comité Ukraine 33, sous le patronage de l’ambassade d’Ukraine en France, commémorent cette année le 85ème anniversaire de la famine génocide du peuple ukrainien, le Holodomor de 1932 et 1933

Nous vous prions de bien vouloir vous associer à nous le samedi 24 novembre 2018, à 15 heures, au Mémorial de tous les génocides, Place Antonin Poncet, 69002 Lyon

Programme :

Prises de paroles d’historiens et témoignages ;

Dépôt de fleurs et de bougies ;

Chants de Requiem par le chœur ukrainien Doudaryk ;

Clôture de la cérémonie par les hymnes ukrainien et français.

Nous vous remercions par avance pour votre présence et témoignages, et vous prions de bien vouloir confirmer votre présence par courriel à l’adresse ukraine33@gmail.com, ou bien par téléphone au 06 89 20 83 58.

Ukraine 33