Les citoyens de la Russie actuelle commémorent la victoire sur le nazisme le 9 mai, pour eux la guerre a duré de 1941 à 1945. Les Nations Unies (les alliés) commémorent cette même victoire, mais pour une autre guerre qui s’est déroulée de 1939 jusqu’au 8 mai 1945.
Pour l’Institut d’Histoire de l’Académie des Sciences de l’URSS, « la grande guerre patriotique » est datée de 1941 à 1945. De ce fait, le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 est jeté aux oubliettes de l’histoire. En réalité, la connivence entre les deux dictatures avait commencé le 19 août 1939 avec la signature d’un accord commercial. Celui-ci garantissait au 3ième Reich la livraison de matières premières qui lui faisaient cruellement défaut en échange d’équipements civils et militaires. En juin 1940, les termes de l’accord furent amplifiés et le 3ième Reich reçut encore plus de matières premières, de pétrole et de céréales.
Le pacte de non-agression, hormis celle-ci, contenait un protocole secret qui consistait à se partager plusieurs pays d’Europe orientale. (A ce titre, il convient de mentionner qu’en février 1945, les mêmes Soviétiques, mais avec d’autres protagonistes, décidaient du sort de l’Europe à Yalta et obtinrent la main mise sur l’Europe centrale et orientale).
Le 1er septembre 1939, l’Allemagne nazie (qui s’était retirée de la SDN), envahit la Pologne sous divers prétextes dont l’un était la protection des Allemands ethniques. Le 17 septembre 1939, à son tour, l’URSS envahit la Pologne (sans déclaration de guerre) et, ainsi qu’ils l’avaient projeté, les deux dictatures purent satisfaire leurs appétits territoriaux. En novembre 1939, l’agression contre la Finlande valut à l’URSS d’être exclue de la SDN (Société des Nations). Le 25 décembre 1939, dans la Pravda, Staline célébrait l’amitié sovieto-nazie scellée par les liens du sang. L’URSS a reconnu et entretenu des relations diplomatiques avec les états du bloc hitlérien, le gouvernement de Vichy du maréchal Pétain fut reconnu par Staline.
Avant d’évoquer la victoire, il est légitime d’évoquer l’indescriptible débâcle de juin 1941, et les invraisemblables pertes subies par l’armée rouge. A la fin de 1941, la Wehrmacht avait perdu 300.000 hommes, tandis que l’armée rouge déplorait 1.200.000 morts et presque 4 millions de prisonniers. Le niveau du patriotisme et l’amour éprouvé envers le parti communiste était si bas qu’en septembre 1941 l’instruction n° 001919 préconisait la création d’unités chargées de tirer sur les soldats qui reculaient devant l’ennemi. Le 28 juillet 1941, Staline donnait ordre, par son instruction n° 227, « ne plus faire un pas arrière ». Toute tentative de reculade était assimilée à un acte de trahison et était passible du tribunal militaire, le plus souvent les accusés étaient passés par les armes sur place. En six mois, le NKVD a procédé à l’arrestation de 685.000 déserteurs, pour la durée de la guerre l’estimation de la désertion s’élève à environ 1 million d’hommes.
En Union Soviétique la population, mécontente du stalinisme, espérait une libération de la part des Allemands. A son arrivée, la Wehrmacht a été bien accueillie en Ukraine, en Biélorussie et même en Russie (l’accueil chaleureux de Smolensk, en fait foi). En définitive, le désenchantement a été aussi rapide que brutal. Les Ukrainiens, à la différence des Russes, souhaitaient non seulement l’effondrement du totalitarisme stalinien mais espéraient que cet effondrement aboutirait à une libération nationale.
L’Allemagne nazie a occupé la totalité de la République socialiste soviétique d’Ukraine contre moins de 20% de la République socialiste soviétique fédérative de Russie. Or, la population de toute l’Ukraine était bien plus importante que celle des territoires russes occupés. De plus, l’occupation allemande en Ukraine a duré plus longtemps que celle des régions occidentales de la Russie. On admet que les Ukrainiens présents dans les formations de la Wehrmacht, SS et police étaient d’environ 250.000. Concernant les Russes, l’estimation varie de plus de 300.000 à 800.000, selon la méthode de calcul. Ces chiffres font apparaître qu’en pourcentage, il y a eu beaucoup plus de collaborateurs russes qu’ukrainiens.
En Ukraine, les nazis ont exécuté plus de 3.500.000 civils ainsi qu’un million de prisonniers de guerre qui périrent dans des conditions d’internement totalement inhumaine. Sur 7 millions de soldats ukrainiens mobilisés, près de la moitié est tombée au champ d’honneur.
Du 1er janvier 1941 au 1er janvier 1945, la population de la république socialiste soviétique d’Ukraine est passée de 41 millions à 27 millions 400.000. Chaque goutte de sang et chaque larme du peuple ukrainien doivent être connues par les générations à venir.
Pour Vladimir Poutine qui prétend que la plus grande catastrophe géopolitique du 20ième siècle est l’effondrement de l’URSS, la « grande guerre patriotique » fait partie de son idéologie et sert à réanimer le mythe soviétique et à l’exporter. L’espace post soviétique est particulièrement visé par ce mythe soviétique qui tente de faire oublier l’effondrement de l’URSS et sa défaite dans la guerre froide. Ce mythe de la grande guerre patriotique est l’instrument de la tentative de rétablissement de l’influence russe.
L’Ukraine, contrairement à la Russie, condamne les crimes du communisme, l’ouverture des archives des services secrets y a fortement contribué. En revanche, en Russie, une réhabilitation du communisme et de la personne de Staline est en cours. De nos jours, Staline est la troisième personne préférée des Russes.
L’annexion illégale de la Crimée, la guerre dans l’Est ukrainien, sont les conséquences de la politique revancharde du Kremlin. Toutes les victimes de la seconde guerre mondiale, quelle que soit leur nationalité ou religion, ont droit au respect et ne doivent pas servir à assouvir des instincts de revanche impérialiste.
Ne laissons pas l’interprétation de l’histoire s’opérer sous nos yeux, ne tolérons pas la violation du droit international.